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Goethe Institut  Installations

Juliane Ebner, Landstrich

29min17 | Allemagne, AOM

                                 Une bande étroite de terre où dire son Heimat, ce
                                 lieu où l’on se trouve chez soi. Étroite parce qu’elle se
                                 forme sur quelques faits familiaux et des allusions de
                                 l’Histoire allemande des années 1940 à la chute du mur
                                 de Berlin.
                                 L’esprit est très loin du Tambour de Schlöndorff où
                                 Oskar né dans les années 1920 à Dantzig ne veut pas
                                 grandir et traverse les tumultes de l’Histoire meurtrière
                                 de la seconde guerre mondiale avec son regard et son
jugement à hauteur d’enfant-homme mais, maintenant, dans l’après, sans appel.
Landstrich est une rétrospection, le film réveille les souvenirs d’enfance mais avec
l’esprit ouvert et le désir de décanter ce qui ne se disait pas, ne pouvait se dire.
L’artiste fait la lessive des secrets familiaux, les papiers multiples qui fondent le film
parmi lesquels, subrepticement, se glisse plusieurs fois et en coda, une photographie
d’enfant de cette Histoire, portent des effets de délavé, les taches tombent en goutte
de couleur alors que se réitère jusqu’à la superposition, la description du linge
pendant aux fils pour sécher.
Cependant, loin de n’être que cet ustensile dédiée aux femmes et très utilisée
par la grand-mère, pivot de l’histoire et de la famille, la lessiveuse s’avère l’image
métonymique du secret de famille, « des choses cachées » ainsi que le probable lieu
du viol de la grand-mère par un soldat russe.
Plus étonnamment, elle provoque un portrait de la grand-mère, jeune femme avec
turban, en pose « glamour », et des senteurs mêlées de l’enfance.
La grand-mère est le catalyseur et le déclencheur de cette écriture de la famille :
la voix over féminine et jeune qui parle à la première personne et la nomme « sa
grand-mère » commence par « Après la Guerre, ma grand-mère avait mauvaise
conscience, parce qu’elle était toujours vivante. Son mari lui avait donné un pistolet,
et lui avait dit que si les Russes venaient, elle devrait tuer les enfants d’abord, puis
elle-même, mais elle ne l’a pas fait », or ce choix n’est pas sans incidences sur la saga
familiale, puisque cette femme n’en a jamais fait le deuil et que son comportement,
sa manière d’envisager le monde était pesé à l’aulne de sa désobéissance, non
seulement l’enfant né du viol mais les résultats scolaires voire le temps pluvieux
dont elle accuse les Russes.
Le récit s’affirme quête personnelle de la réalisatrice mais la famille est d’un pays,
d’une langue : alors qu’en incipit se balaient diverses images d’avion, de bâtiments,
de paysage, l’allemand et l’anglais dialoguent ; plus tard, l’ambiguë acceptation/
refus de ce Russe entraîne des mots en sa langue pour menacer d’emporter en

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