Page 223 - Catalogue-livre_Rencontres Traverse 2019_L'Expérimental-recherche-art
P. 223

Prép’art  Installations

Se nourrissant d’un entretien avec le neuropsychologue Francis Eustache, le film
s’arcboute à de telles questions tout en composant avec des archives, sa propre
fiction et précisément sa propre science-fiction d’un voyage sur Mars, annoncé
par le titre. Cependant, la réflexion porte aussi sur l’envers total de la mémoire,
l’amnésie, qui est l’absence totale ainsi que la définit Francis Eustache : « Lorsqu’on
demande à des amnésiques ce qu’ils vont faire du futur, ils répondent c’est blanc.
Je dis c’est blanc parce que c’est ce qu’ils répondent. C’est blanc, c’est blankness, un
espèce de vide… ».
Et plus encore, ce à quoi Mars fait écho, c’est Toute la mémoire du monde, ce court
métrage qu’Alain Resnais a tourné à la BNF  – le lieu de cette mémoire par les
livres – en 1956 et auquel Chris Marker collabora, tous deux en preuve du rapport
du déroulé du cinéma au cheminement de la mémoire.

                                        En effet, un livre qu’il cite me guide et contribue
                                        aussi au titre éponyme : Mars de Jeannine Garane,
                                        suivi dans son cheminement, dès son arrivée, à la
                                        bibliothèque jusqu’à son rangement au sein d’un
                                        univers aussi complexe qu’un labyrinthe.
                                        Ce livre censé faire partie de la collection Petite
                                        Planète des Éditions du Seuil, dédiée aux livres
                                        de voyage et que dirigeait Chris Marker, est,
cependant, inventé de toutes pages par Chris Marker, lui-même pour ce film. Son
dialogue avec le futur invite à un voyage mental, devenant par là-même source de
fiction fondée sur ce que pourrait être – aurait pu être – serait un voyage sur Mars...
Ainsi Mars, le film procure un nouveau propos à ce livre sans cesser de s’interroger
sur le rôle de la mémoire dans la projection du futur et dans le processus de création
de la fiction.

Au-delà de mes questions essentielles pour mon travail, une expérience douloureuse
très personnelle a interféré : ma mère est atteinte de la maladie d’Alzheimer et je
ne peux m’empêcher de l’enregistrer, de la filmer. Cela me devient essentiellement
nécessaire contre l’oubli.

Cette réalité-ci/ma réalité s’immisce dans le film pour interroger d’un autre angle,
la mémoire et l’oubli. Les questions s’y précisent sur les processus, les limites, les
difficultés à continuer à raconter lorsque les souvenirs s’échappent. J’y poursuis ma
question alors le film se fait s’interrogeant sur le comment raconter cette expérience :
Mars non seulement puise à plusieurs sources non en constats multiples ou écho
savants mais en une bande de Möbius qui ne peut discerner la question et le faire.

          223
   218   219   220   221   222   223   224   225   226   227   228