Page 36 - catalogue_2012
P. 36
Projection au Gaumont Wilson
Barbara Friedman & Gilivanka Kedzior nous ouvrent la porte de ce recoin oublié : est-ce là
l’opportunité permise d’écouter ce lieu abandonné ? de s’y asseoir un instant pour saisir les images
mentales d’une mémoire non exprimée ? Deux temps ne s’y conjuguent-ils pas, celui du passé et celui du
présent ? Sommes-nous prêts à accueillir la blessure cachée, à la libérer de sa vieille charpente, de sa
saison morte ? Les scènes semblent nous souffler : - Ouvrons les fenêtres. Brisons le verre opaque de
nos gestes obsessionnels. L’eau qui dort doit être oxygénée. Soyons l’enfant et l’adulte, le même et
l’autre, le confident et le confesseur.
Voilà donc un film porteur d’une proposition très sensible, créée par ces deux jeunes femmes. Orientent-
elles notre espérance vers les voies de la réconciliation ? Vers de nouveaux espaces, de nouvelles
structures colorées ?
C’est ce que nous invite à faire l’Américain David Finkelstein dans sa vidéo délurée Display
Devices. Partant d’une performance dialoguée et improvisée, les paroles des deux « commentateurs »
échappent totalement à l’analyse de la raison, mais en imitent les codes avec beaucoup de dérision.
Leurs échanges sont en relation avec des espaces numériques dans lesquels nous naviguons : cubes
encastrés à la Tétris, couleurs saturées à outrance, arc-en-ciel, paillettes, perspectives et architectures
que nous pourrions qualifier de « rococo » numérique des années 80. L’esthétique kitsch et superficielle
est totalement assumée. Nous décollons avec elle dans des codes et structures mathématiques, non pas
à la Matrix, mais avec un état d’esprit beaucoup plus détendu qui ne cherche pas à trouver « La Vérité ».
Nous nous amusons, nous divaguons, nous nous perdons, nous nous aventurons... Noyé par le délire
visuel et intellectuel, le spectateur se laisse séduire par cette visite guidée : il lâche prise avec sa raison
et apprécie la compagnie bavarde de ces deux experts d’un monde fabriqué par ordinateur.
Il n’est plus question de comprendre, mais de commencer à apprécier de nouvelles saveurs, de se laisser
emporter, de prendre plaisir…
Le voyage continue. Autre monde, autre virtualité. Toujours sans boussole, le spectateur, cette
fois-ci, doit déchiffrer des phrases tirées de leur contexte et provenant de jeux vidéo. Cockpits [down] de
Yann Weissgerber, nous plonge dans une ambiance sobre et épurée sur écran noir. Une typographie
stylisée nous rappelle le système des plateformes de jeux des années 80. Aucune esthétique n’y est
recherchée, mais une pensée écrite, froide, décrivant des situations dans des lieux préfabriqués ; lieux de
jeux d’aventure, lieux de la décision, lieux du danger et qui nous appellent à l’action.
Sur sa seconde vidéo more cockpits [-ship version] sont retenus des motifs graphiques très rudimentaires.
Ils sont également tirés de programmes de jeux des années 80, avec pour bande sonore les accords des
premiers synthétiseurs. Nous écoutons la voix robotique d’un ordinateur. Cette « intelligence artificielle »
s’adresse à ses passagers, qui ne sont autres que les spectateurs eux-mêmes. Notre raison est mise à
contribution. Elle doit trouver ses réponses aux interrogations émises par le programme : « Nous avons
atteint un point que nous devrions fuir », « Nous devrions arrêter de creuser la terre et prendre un vais-
seau en direction des étoiles ».
Est-ce là le mot de la fin ?
Superbe séance de Traverse Vidéo, orchestrée par sa programmatrice Simone Dompeyre.
« La psychogéographie », selon Guy Debord, pourrait être le maître mot de cette projection. Les espaces
ont été re-visités, les pièces cachées ré-ouvertes, les énergies créatrices libérées.
Et si le monde numérique souhaite remplacer nos structures physiques, la conscience, elle, est toujours
là. Ne se rappelle-t-elle pas à elle-même qu’elle doit toujours se relancer, se réinventer, et s’aventurer
au-delà ?…
Johanna Vaude
36 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Faut Voir