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L’Heure de Traverse Vidéo
Le titre assume, par ailleurs, une proposition de construction d’un personnage, ce dont la vidéo
refuse les règles narratives d’autant que le portrait concerne non la protagoniste dénommée mais deux
sœurs, désormais adultes et dont les enfances sont liées… Plus encore, cette première période de la vie
est tout aussi prégnante voire davantage que celle de l’âge adulte et les adolescentes tout autant que la
femme même si le récit s’amorce avec un très gros plan de celle-ci et que son corps scande la narration.
En outre, un sous-titre fait référence, dans le recul de l’irréel – “comme si elle devait être”- à une protago-
niste des Hauts de Hurlevent, Catherine Linton, jeune femme dont la vie est racontée, a postériori, sans
négliger la cruauté subie, par deux narrateurs masculin et féminin. Ainsi le passé étrange est-il revu selon
une réalité divergente, mais proche des images du réel.
Cet absurde régit la structuration de la vidéo : fragmentaire et répétitive, elle déplace des corps
en détourage non escamoté, sur des territoires balisés ; elle déborde un temps linéaire en privilégiant le
flash-back qui lui-même privilégie des moments dont un porteur de crainte diffuse : celui de la rencontre
avec un garde-chasse hors-normes qui fait onduler ses longs cheveux blancs et luisants bien différemment
que ce que leur blancheur connoterait.
Un autre interstice, quant aux codes, induit encore ce vague malaise dans la séduction des voix : d’abord
et à la fin, en chant, la voix est masculine mais une occurrence est féminine ; la voix devance l’implication
du garde-chasse dans le champ ou entraîne des parallèles légèrement anxiogènes ; en effet, les
phrases préfèrent l’approximation de la double entente quand elles ne changent pas leur intonation en
mode mineur.
Le bucolique se déconstruit en affichant des termes sur fond noir pour asséner leur lecture ;
Nostalgie/Souvenirs/Soupirs ou avec un crescendo Déboires pour faire attendre la suite de la phrase :
“elle dit” ; voire en début, et en graphie plus grande, en lançant des mots que les enfants se disent pour
le plaisir de l’interdit Raclure/Chienlit/Connaude/Crevasse mais sans l’enfant en petit maillot de bain déjà
disparue du champ..
La voix masculine à la limite du haute contre, décrit en anglais son sauvetage d’un oiseau entré
dans “sa” chambre, qui, exténué par ses tentatives à en sortir, tomba sur son lit ; or ceci est un écho
renversant de la chambre où déambulait l’une des fillettes, qui bénéficiait grâce aux deux fenêtres
ouvertes d’une grande lumière, mais cette image de clarté elle-même est, tout aussitôt, refusée par les
souvenirs d’enfance décrivant leur maison comme “an haunted house hantée”. Les échos défont en
ricochets toute tentative de dire clair.
La langue franco-anglaise, mêlant les vocables des deux langues en une seule proposition, participe à cet
empêchement.
Il est impossible d’énoncer ce qui a marqué, ce qui a transformé l’innocence de l’enfance et que
la maturité traîne encore et toujours “j’ai tellement suffering” parvient à prononcer fraülein Ezerbeth. Ou
bien ce sont des anecdotes peu ragoûtantes que l’on dit en en riant tant elles sont énormes ; par
exemple manger une grenouille pour éviter de dire l’inconcevable.
La Vie de fräulein Erzebeth est une sorte de chaos organisé rejoint ces films réflexifs qui se
fondent sur une plasticité y compris musicale, en total accord avec leur propos, comme La Ronde de
Ophuls avec le cercle, préféra l’arc de cercle et la rotondité en élan de la succession amoureuse
diégétique dont le premier amoureux ferme la boucle en s’approchant de la dernière amoureuse impliquée
dans la valse amoureuse…
Cependant la vidéo des Sœurs H, elle, refuse le plein du sens, elle refuse de donner la solution, elle induit
à prendre avec soi, sans pouvoir achever… elle induit en même temps qu’un recul sur le garde-chasse
pourtant jamais expressément attaqué, la savoureuse inquiétude de cette toujours détonante écriture.
Elle est un oxymore.
Simone Dompeyre
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s) 55