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L’Heure de Traverse Vidéo

          Depuis plus de dix ans, Jacques Perconte, cinéaste et plasticien, cherche dans les imperfections
et les lacunes des technologies de l’image la matière toujours changeante de ses films.
Dans la mise en œuvre de processus qui peuvent conduire à une très grande abstraction, il nous rappel-
le que, si nous vivons dans un monde où les images se font constamment, toujours, partout, avec ou sans
nous, elles doivent encore perdre et prendre forme, se creuser, éprouver les possibilités d’altérations
infinies qu’elles recèlent.
Déjà les bandes vidéo analogiques permettaient de faire apparaître dans des prises de vues réelles des
figures que nous ne pouvions pas y voir de prime abord. Dans Azar (1995), par exemple, Jacques
Perconte refilme un visage sur un écran, avant de l’inscrire dans une série de boucles, ce qui le fait dispa-
raître et resurgir dans une facture et des traits numériques tout à fait singuliers. Le procédé est repris dans
Chloé1 et Chloé2 (1999). Dans la première vidéo, une jeune femme, la tête sous l’eau, se redresse et
reprend sa respiration ; dans la seconde, elle enfile une robe. Ces courtes séquences de quelques
secondes, reprises en boucle, démultipliées, juxtaposées à elles-mêmes, épaissies enfin par des zooms
dans l’image, permettent de voir le motif disparaître dans une texture vidéographique.

Exigence picturale

          Dès ses premiers linéaments, et avant même qu’elle ait rencontré les outils lui permettant de
trouver sa voie singulière, l’œuvre de Jacques Perconte est celle d’une manipulation et d’une matérialisa-
tion de l’image rendue possible par des procédures qui, fussent-elles aussi simples et évidentes qu’un
accéléré, ne peuvent être engagées sans transformer ce sur quoi elles s’appliquent. Faire des images,
c’est toujours, dans ce contexte, intervenir sur la matière même des images.
Les nouveaux outils de traitement vidéo, que nous utilisons quotidiennement sans bien comprendre ce
qu’ils provoquent concrètement, ont permis au cinéaste de radicaliser sa pratique et de donner à des
gestes de cinéma une exigence picturale inouïe.

          Plusieurs de ses films récents, en effet, sont des plans-séquences. Ce sont aussi des travellings,
dans la mesure où ils sont tournés en situation de locomotion. Filmer dans un train en marche, c’est ipso
facto en appeler à un topos de l’histoire du cinéma, qui, dans son commencement même, est une affaire
de transport. En réalisant Pauillac, Margaux (2008), c’est-à-dire en reliant une gare à une autre par un long
travelling et plan-séquence, Jacques Perconte pose une relation cinématographique au paysage, mais
c’est pour permettre à l’image en mouvement elle-même d’engager un autre type de transport, d’ordre
chromatique celui-ci. Une succession de compressions va faire surgir, dans ce plan-séquence, des
couleurs, des textures qui ne s’y trouvaient pas lors de la prise de vues.

          Le travail sur l’image est celui d’une mue de la réalité elle-même, qui nous donne alors quelque
chose de neuf que l’art seul peut produire. Pauillac, Margaux, ce sont des teintes d’automne qui colorent
un plan tourné au printemps. Ce film, qui, sans doute, regarde en direction des toiles de maîtres, fait plus
et mieux que saisir un instant donné – un voyage en train ce jour d’avril - ; il interroge les saisons et les
jours eux-mêmes, qui excèdent nécessairement – et c’est heureux – l’enregistrement mécanique du réel.
La métamorphose du paysage par le truchement du cinéaste conduit ce dernier à exprimer plus que l’ici
et le maintenant de la prise de vues. C’est que le paysage, en tant qu’il ouvre sur un pays ou un monde,
demande plus qu’une attention passagère.

          Le procédé est similaire dans Uishet (2007), même si le voyage, cette fois-ci se fait sur une
barque. La mutation du paysage y est plus progressive, et l’image va vers des formes et des couleurs plus
radicales encore. Le sentiment de s’enfoncer dans les possibilités picturales de l’image y est plus franc,
car la séquence est filmée en travelling avant.

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