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Traverse continue...
Aurelio CARDENAS, The love you speak about, 3'41, 2012, France
À l'origine, un puzzle audiovisuel de boucles pornographiques glanées sur
internet.
Ces corps féminins, fragmentés et échantillonnés, y perdent toute charge
érotique et secrètent une angoisse de plus en plus oppressante.
Pourtant, comme un écho perdu dans la nébuleuse numérique, une voix
continue d'interroger cette surreprésentation de l'amour et du sexe: “Is this
the love you speak about ? Est-ce de l’amour dont vous parlez ?”
Gabriel JONES, Scientific documents with subliminal pornography
inserted, 9'45, 2012, France
L'image est fixe, la caméra posée sur ce qu'on imagine être un balcon au
bord d'une piscine. De façon imperceptible puis franche, l'image tremble et
quand l'eau de la piscine s'échoue sur les bords, on comprend que c'est un
tremblement de terre qui agite la scène. (…) Une bulle est suspendue à un
fil de métal. Quelqu'un y introduit une pastille qui devient effervescente à
son contact. À l'intérieur de la bulle, de la mousse se forme, sans jamais la faire éclater. (…) En rase cam-
pagne, le siège éjectable d’un avion de chasse au sol est propulsé en l’air, puis retombe lourdement mal-
gré son parachute. (…) Autant de films en plan fixe, destinés à documenter des phénomènes naturels ou
scientifiques, que Gabriel Jones collecte et transforme de façon radicale et paradoxalement imperceptible.
L'observation des faits est frontale, sans aucune volonté esthétique. La qualité de l'image
dépend des conditions de prise de vue, mais l'essentiel est là. De manière froide et technique, ces
images donnent à voir des réactions chimiques, des événements industriels ou naturels et leurs consé-
quences. L'homme est absent, seuls les engins mécaniques évoluent, les objets tombent et les matériaux
se transforment au gré des situations. Aucune narration, l'observation scientifique et le recueil des
données factuelles tiennent lieu de scénario. Ni le lieu, ni la date encore moins la provenance des images
ne sont indiqués. Hors contexte, ces films brefs captent directement des événements bruts.
Mais au cœur de ces actions s'en cache une autre. Comme chaque titre l'indique de façon expli-
cite, des images pornographiques se trouvent insérées à l'intérieur des documents scientifiques. Extraits
de films amateurs, des plans fixes de couples ponctuent chacun des films documentaires. Imperceptibles
à l’œil nu, elles sont pourtant bel et bien là. Transférées sur film 16 millimètres, toutes les images – visi-
bles ou non – défilent matériellement sous nos yeux. Le principe de l'image subliminale est simple : étant
vue trop rapidement, l’œil ne peut la percevoir mais le cerveau reçoit l'information qui s'en dégage. À notre
insu, ces images s'impriment en nous. Le phénomène, utilisé à des fins commerciales ou idéologiques,
peut alimenter la paranoïa : nous serions ainsi soumis en permanence à des messages dont nous ne
soupçonnons même pas la présence ! Ici, tout est dit. La présence des images cachées est clairement
annoncée, seule leur perception nous échappe.
Dans la continuité des précédents travaux de l'artiste, la réalité offerte ici est lacunaire. Qu'il s'a-
gisse de portraits photographiques de personnages énigmatiques ou de cartes d'état-major découpées et
privées des noms de lieux qui les constituent, les œuvres de Gabriel Jones donnent à voir un monde où
la disparition et la perte d'identité tiennent une place primordiale. La série des films Scientific document
with subliminal pornography inserted s'inscrit dans un double mouvement de révélation des faits
contrebalancée par une dissimulation revendiquée. Par l'insertion d'éléments portés à notre connaissan-
ce mais physiquement inaccessibles, Gabriel Jones donne à l'absence un rôle majeur.
Claire Taillandier
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s) 63