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                           Alexandrine BOYER

                            Le propos des Miles atteste le plaisir de découvrir la vie urbaine et sa modernité selon un projet
                 importé par les Lumière, il rappelle la potentialité de narration de toute captation quand son titre originel:
                 Trip down Market Street annonce un voyage, dans ce simple trajet voire, si on y veut lire le figuré, une
                 expérience.

                            Alexandrine Boyer n’y cherche pas un laboratoire de micro-histoires, ni ne prend comme docu-
                 ment ce film de 1905, puisqu’elle dépasse l’emprunt du footage en lui accordant un protocole inusité. Sans
                 modifier la bande image, elle la transforme ; elle transporte cet afilmique - la vie telle qu’elle est hors de la
                 caméra, filmée telle qu’elle est sans opération de changement de son espace - vers le profilmique - ce
                 qui est préparé en amont, ce qui est organisé pour être tourné, puis monté. Plus encore, elle guide son
                 propre « filmage » le plus minutieusement, pour donner son au film- image de San Francisco.

                           Le film matrice conduit des chevaux ou laisse glisser des trams, il passe du plan de demi-ensem-
                 ble au plan moyen, il passe de la profondeur du champ se focalisant sur une tour horloge, à la proximité
                 des passants, il passe de pavés secs à des flaques d’eau dans des trous près des rails…
                 La vidéo contemporaine part du noir iconique percé par un bruit que le premier plan image attribue au lever
                 d’un store, actionné par une jeune femme dont le visage reste hors-champ, hormis une seule fois, mais
                 de profil, il est non reconnaissable, ceci n’est pas la construction d’un personnage. C’est le premier geste
                 banal d’une série banale mais indispensable à l’essai-installation d’Alexandrine Boyer. Outre, par deux
                 fois,celui de la montée du volet, des bruits précis, liés à un objet ou à un geste, se succèdent : l’eau fuyant
                 dans le trou de la baignoire, le rideau de douche tiré sur le montant plastique, l’interrupteur de lumière
                 appuyé plusieurs fois, la manivelle du moulin à café, les grains de maïs tombant sur le revêtement de

téflon ou sautant contre le couvercle de verre, le jet de produit et la montée d’un monopode photogra-
phique puisque dans ce quotidien s’inscrit celui personnel de l’artiste.

         Sans étonnement, le son est reconnu comme « véritable », il correspond à la cause vue, alors
même que jamais n’est sacrifié le travail du champ iconique qui décline les variations de plans passant
d’une main tirant un bol sur la table en formica ou utilisant un vieux moulin à café, à un demi corps nu sous
la douche, à un buste ou un dos nettoyant les vitres, à un profil buvant ou à des gros plans d’objets :
rideaux de douche, casserole d’eau, poêle au maïs…S’y exerce aussi la pensée de la lumière, vive ou plus
tamisée. Pourtant chacun des éléments est retenu pour le son qu’il génère précisément.

          Dans les deux mondes, deux coupures… un arrêt dans la prise de vue de Market Street, un
silence noir après le bruit d’un spray de produits à nettoyer les vitres ; deux coupures impliquant la
réalité du tournage.
La montée de la rue s’achève par un renversement d’axe, la caméra entraînée en un demi-cercle
implique qu’il y a un système de vision de la rue telle qu’elle est désormais vouée à l’écran. La des-
cription de la vie domestique s’achève avec la montée du pied d’un appareil de photographie ou de

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