Page 99 - catalogue_2014
P. 99
maquette 2014_TRAVERSE_VIDEO:maquette 2013 06/11/2014 15:53 Page 98
Christophe BISSON
A la Chapelle des Carmélites
Liquidation
Christophe Bisson n’est pas un artiste égoïste, il travaille à partager son émotion artistique, non
seulement dans des films qui laissent un espace au spectateur, en l’invitant à participer au sens se faisant
mais aussi, dans un domaine moins attendu, en tant qu’intervenant en arts plastiques dans un centre psy-
chiatrique, près de Caen. Ainsi réunissant et son amour de la peinture - il fut d’abord peintre - et celui du
cinéma et ce projet d’accompagnement, il a voué un cycle de films à la question de la norme à travers la
pathologie : Road Movie, Au Monde. Le troisième, retenu dans une proposition sur écran plat en boucle, a
rejoint la Chapelle des Carmélites puisque son incipit appelle l’iconologie religieuse sinon baroque comme
le lieu, par une oeuvre très particulère.
En effet, on y reconnaît La Trinité de Masaccio, celle qui inaugura une perspective si achevée qu’on prêta
au peintre la collaboration de Brunelleschi alors que Le Christ à la tête penchée des mises en croix et la
Vierge au regard frontal appartiennent à la première peinture où les humains bénéficient de la même taille
que les figures divines. « Reconnaît » car un geste précis mais rapide, aigu rature la reproduction, et ce,
avec de plus en plus de force, comme autant de piqûres, de blessures sur le dessin sans pourtant le sacri-
fier, sans l’annuler ; paradoxalement, l’activité ne fait pas signe vers les outrages, le Christ ne subit pas un
blasphème ni un geste iconoclaste…preuve en est qu’un autoportrait de Rembrandt est aussi objet/ sujet
de la rature ; tout aussi barré, il reste longtemps « lui », avec le regard tourmenté du peintre vieilli.
L’ordre du montage atteste que ce qui importe, c’est la figure plus que le genre. Et le geste y
perd de sa virulence destructrice pour devenir écriture ardente sur palimpseste. Le désir est donné de voir
derrière les lignes, les points, les ratures qui respectent l’originel : les traits cernent le visage de la Vierge
douloureuse, le ventre nu du Christ. Sans doute, faut-il écrire que de l’autoportrait ne reste que l’orienta-
tion du visage désormais couvert trait à côté de trait, trait sur trait pour des variations de ce noir. Noir sur
noir.
L’œuvre raturée devient la trace d’un réel processus de création. Les mouvements internes au
champ vers Arnaud, le décrivent totalement impliqué; le générique le dénomme après un « avec » d’inclu-
sion forte dans le film. Arnaud, explique hors cadre, Christophe Bisson, est un patient, autiste de l’Institut,
Le seul retenu dans le film parce que agent de son appropriation de l’image ?
Le réalisateur unit totalement le jeune homme à sa pratique, ce sont des glissements et non des contre
champs qui le découvrent. La vidéo s’approche au plus près de sa main, elle s’attarde sur le geste de frap-
pe du pinceau pour le nettoyer sur un chiffon blanc. Elle saisit la confection par mélange des couleurs, elle
saisit le froncement du front. Après le geste des griffures, un gros plan se centre sur les yeux, d’autant
plus prégnants qu’ils sont pris sous d’épais sourcils et qu’ils dardent vers le hors-champ que nous savons :
la peinture. Le montage lui reconnaît un regard, un point de vue, Arnaud agit, il est dans le processus du
faire.
98 Installations / Boucles vidéos - Processus