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                               Aude FOUREL

                                                            et ST#1 / ST#2
                 Par ailleurs, ce fragment est précédé de l’incursion du corps d’une jeune fille, la seule marcheuse à être
                 suivie pour près de deux minutes, par la caméra d’Aude Fourel qui a opté pour le hors cadre durant cette
                 prise de vue traversant Rome.

                              Elle se souvient aussi des voix des castrats que Rome affectionnait puisque sur le dernier
                 plan fixe, centré sur une porte en arche, quelques secondes de l'Oratorio San Filipo Neri d’Alessandro
                 Scarlatti, « Qui resta… l'alta Roma » gagnent l’espace; certes, cela chante Rome mais c’est chanté par
                 une femme, Cecilia Bartoli. Cette musique précède les derniers mots « maintenant, je vais bien », vérita-
                 ble coda de ce poème vidéographique.

                             Cette formule entraîne une nouvelle double lecture de « aller » compris comme « marcher » et
                 comme « se porter » en accord avec ce que procure la vision de ce film, qui, pour aller dans son sens,
                 réclamait la boucle, la réitération afin que se poursuive la démarche. Elle revient aussi aux sources ciné-
                 matographiques puisque ce sont des paroles prononcées par Accattone, dans le film éponyme de Pasolini,
                 sans pour autant y exposer qu’il s’agit de ses dernières paroles.

                             Dans un dispositif des plus simples : trois moniteurs, encastrés dans du bois blanc, réunirent
                 ST#1 /ST#2 à Attraversare Roma.

                              Le premier film est de station, au sens fort du terme: d’arrêt volontaire, concerté. Une jeune
                 femme - l’artiste -se tient assise, de dos, sur un banc de pierre, sur un pont puisqu’une statue antique étê-
                 tée, vêtue de drapé, corps féminin allongé, en décore la balustre. Pour seul mouvement, celui du vent sur
                 les arbres dans la profondeur du champ ou agitant le ruban du vêtement ou la mèche de cheveux ou enco-
                 re ce reflet sur le mur. La bande son rassemble les cris des oiseaux du lieu si calme à la partition de l’ac-
                 cordéon signée par Luca Venitucci.

                             Le second film intègre le mouvement dans la station. Il est la résultante d’une projection sur un
                 dos/écran de la déambulation de la jeune femme, fugitivement entrée dans le champ de Attraversare Roma
                 et dans laquelle se reconnaît la silhouette de ST1, même nuque, cheveux accrochés, même minceur…
                 alors que s’écoute la voix si particulière d’Anna Magnani, venue de Mamma Roma, alors que l’ancienne
                 prostituée - du titre éponyme - rattrapée par son passé, revient sur sa vie, demandant qui est le respon-
                 sable de celle-là.
                 Une jeune femme debout - l’artiste même qui avoue « un clin d'œil à une performance que Pasolini et Fabio
                 Mauri avaient réalisée ensemble autour de l'Evangile de Saint-Matthieu » - en chemise blanche est, ainsi,
                 le lieu de rencontre de divers supports, le super 8 s’avère dans le format, se connote par les bords irrégu-
                 liers du passage, la solarisation de certains plans, la tache mouvante.

                                ST2 est le lieu de rencontre de plusieurs cinémas voire de plusieurs formes artistiques.
                 S’entrelacent au performatif de la traversée de Rome - même si elle est abandonnée dans ce film aussi,
                 au détour d’une rue - des mouvements qui varient abruptement l’échelle des plans par le loin et le près
                 d’un même objet et volontairement en rupture avec la narration fictionnelle, la mémoire cinématogra-
                 phique à laquelle se voue Attraversare Roma, le recours au montage vertical privilégiant les fragments
                 sonores de l’oeuvre de Pasolini.

                            Cependant, très loin de se résoudre en simple rencontre et si différemment de ce réalisateur,
                 ces trois films adoptent ce que Pasolini cherchait dans son cinéma « la langue écrite de la réalité », « la
                 langue naturelle du corps, des objets, des gestes. ». Aude Fourel se vit en cette traversée.

                                                                                             Simone Dompeyre

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