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Michèle LORRAIN

                                            La Citerne

                                                        Photo : Roberto ALVAREZ

              Ce que dit l’artiste :
              « J’ai grandi à Laval, près du site de la citerne. Peu de personnes ont remarqué cet objet monumental
parce que c’est davantage en marchant le long de ce tronçon de route achalandée – boulevard Saint-Martin, sans
trottoir ni accotement – qu’on peut vraiment l’observer. Il faut aimer arpenter le territoire pour découvrir l’insolite et le
merveilleux. La Citerne en forme de bateau suspendu au milieu des arbres m’a rappelé un passage de L’Amour fou
d’André Breton quand il discourt sur la beauté convulsive et se remémore « la photographie d’une locomotive [ filant
à] grande allure qui eût été abandonnée au délire de la forêt vierge ». Michèle Lorrain refuse le rôle de collectrice d’un
objet, elle se fait collectionneuse de ses facettes au cours d’une quinzaine d’années où « elle photographie la citerne,
saisissant la détérioration progressive du site jusqu’à la disparition définitive de tous les ( autres ) bâtiments. J’ai
voulu faire remonter la mémoire du lieu et de la citerne. Dès lors, mon projet a consisté à transposer, sous la forme
d’une vidéo, cette qualité de présence perçue au moment de ma découverte, en représentant la citerne comme un
marqueur symbolique de l’espace et une icône de construction identitaire d’un lieu. J’ai choisi de présenter l’œuvre
vidéo à proximité du site d’origine de la citerne dans le caveau historique des frères Goyer – lui-même menacé de
disparition. »

              L’objet n’est insolite que parce que désormais sans usage, il règne sur un espace en friche. Michèle
Lorrain saisit les potentialités vidéographiques de cette énorme citerne autrefois construite pour conserver l’eau. Un
objet auquel la profondeur du champ accorde la dimension d’un bâtiment; un récipient dont la forme s’apparente à
la sculpture abstraite ; un volume en courbe rassurant qui se glisse vers l’animalité parce que juché sur des pieds; la
rouille en écho aux œuvres monumentales que s’arrachent les musées mais dans la végétation du land art…
Le regard n’est pas taxinomique mais d’animation, de réveil de cette citerne, qui mérite le déterminant « LE » du
connu. Elle est, dès lors, atteinte depuis toutes les directions en approche d’apprivoisement respectif d’elle et du
regardeur. La longue maturation de l’œuvre en diverses périodes multiplie les nuances du matériau et la luminosité.
Ce qui n’est en tant que référent qu’un objet, gagne sa valeur ajoutée d’œuvre dans cette spatio-temporalité vidéo.

              La Citerne prouve que la connaissance du filmé se fait selon le mouvement multiplié, ainsi la construc-
tion ne se découvre pas en un bloc mais en succession de variantes, elle est toujours autre, derrière les arbres,
enfouie, sortant, selon les saisons, elle en devient quasi hypnotique ce qui induit à la revoir pour poursuivre cette
invention - terme qui qualifie aussi la découverte de l’archéologue et autre paléontologue. La Citerne posée à même
les stalles de bois de la chapelle baroque, se déroulait tout au long du jour, à côté d’un grand miroir où selon la posi-
tion du regardeur, elle se dupliquait pour ajouter à ses variations à côté du reflet de ce regardeur. Découvrir réclame
une présence forte, une appétence du voir, celles-là mêmes que le miroir implique en même temps que ce nouveau
lieu où voir la citerne. « Et le miroir, chez moi, forme une sorte de parcours du vivant » m’a dit Michèle.

                           Simone DOMPEYRE

                           CHAPELLE DES CARMÉLITES                                                                             117
                                INSTALLATIONS

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