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Allison MOORE

              Y participent aussi quelques animaux heureux, la chouette tutélaire veillant depuis les branchages,
ou circulant, imperturbablement un renard, marionnette de poil roux, une coccinelle légère sur les tiges l’espace,
mais aussi avançant de guingois, un animalcule. Poursuivant la variation de types d’animation, celui-ci est en pâte
à modeler, plus petit que le renard, il reste dans la zone du sol. Son périple pour parvenir dans le bois d’Allison est
long, puisqu’il est Enkidu, de l’épopée de Gilgamesh, de la lointaine Mésopotamie, façonné en argile et salive par la
déesse de la création Aruru. Cet homme sauvage élevé parmi les animaux ne connaissait rien de la société humaine
jusqu’à ce qu’il fût amené à lutter contre Gilgamesh, le roi d’Uruk. Enkidu incarne le monde sauvage et naturel, et
bien qu’égal à Gilgamesh pour la force, il est l’antithèse de la culture, urbaine du roi-guerrier dont il devint compagnon
fidèle et profondément bien-aimé. Pourtant rien n’en reste que le matériau.

              Le bonhomme est biscornu, il marque, pas après pas, sa trajectoire, comme les autres il ne la dévie
pas… comme chacun, il a sa course mais il est de plasticine quand les autres vivent par pixilation image à image
pour les acteurs grands et petits, ou en marionnette pour le renard souriant. La pâte à modeler peut varier mais
l’anglais désigne cette technique claymation par le mot valise : clay : argile et animation, ce qui ramène à la création
d’Endiku.

              Ainsi l’esprit de l’installation rassemble le désir d’embrasser les manières de création des figures et
les manières de les animer… Allison compose un monde hors de la logique du contemporain, dans une temporalité
inédite apportée par les personnages venus de tous horizons et de périodes historiques fort différentes.

              Ils s’inscrivent dans la forêt, labyrinthe naturel et lieu de la quête initiatique; on s’y perd, on y revient
sur ses pas, on avance pour découvrir, rencontrer des animaux dangereux ou des êtres mystérieux avec lesquels
s’engagent des épreuves d’où l’on sort vainqueur et initié ou perdant et mortifié mais prêt à s’amender et ainsi se dé-
couvrir. Elle s’avère ainsi surtout lieu de rencontre avec soi-même, avec sa propre peur à dépasser les évènements.

              L’installation est loin de chercher la frayeur, l’optimisme la porte, personne n’y est blessé encore moins
mis à mort… au contraire, elle rassemble des textes oraux ou écrits ici - au Canada - ou ailleurs, dans l’idée d’une
seule humanité sans querelle, dont chaque membre agit sans perte pour l’autre, sans lui ravir quoi que ce soit et où
les sorcières ne « font même peur », pour reprendre la formule de l’enfance.

              La strate sonore parfait ce projet, en entraînant dans une musique d’ailleurs, qui se mêle intimement
aux bruits précis de la nature… un groupe inattendu joue le klezmer, cette musique instrumentale autrefois pratiquée
dans les communautés juives d’Europe de l’Est lors des mariages ou des festivités religieuses joyeuses. Elle ajoute
à cet œcuménisme de « il était une fois », dont la mixité des inventions est si grande que personne ne trouvera
d’illogisme à ce que des musiciens gitans traversent la forêt, y entraînant l’enfant que nous fûmes et sommes. Et un
enfant tapant sur un triangle n’a aucune réticence à les suivre, scandant leur air, pas plus qu’un autre n’a craint de
grimper dans l’arbre.

              L’arbre de la sagesse, l’arbre du savoir, l’arbre de la pomme, n’est plus lourd d’interdiction, il s’impose
comme force de réconciliation des contraires, lieu de l’animation du plaisir de l’enfance qui palpite en chacun de
nous, comme catalyse de la récréation dans le bois enchanté, de la re-création à chaque fois possible.

                                                                             Simone DOMPEYRE

                           ESPACE CROIX-BARAGNON / L’ ENVOL DE CRANSAC                                                       121
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