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Derek WOOLFENDEN
France Telecom ( Live Hard )
France Télécom a été fait dans l’urgence, avec l’impulsion de réagir contre la bureaucratie moderne
pour récupérer au plus vite ma boîte mail. Mon film Lexique Dyslexique était projeté, ainsi que Black’s Back, chaque
semaine, au cinéma La Clef à Paris et je ne pouvais plus relancer la comm’ pour que le film marche et continue à
rester sur les écrans. Je voulais donc me venger intelligemment et me confronter à cette entreprise, et l’effriter, la
« graphiter » d’une certaine façon pour montrer sa porosité, sa fragilité et surtout son absurdité dérisoire qui en
devient quand même angoissante.
France Télécom est aussi une expérience réelle où la fiction ( via la caméra ou plutôt l’enregistreur son que je
n’ai pas dissimulé pour mieux oppresser et pousser mes interlocuteurs dans leurs retranchements ) me vengerait
d’une réalité injuste et imprenable. Le film procède d’un dispositif psychologique bien rôdé. Après avoir fait deux
repérages involontaires ( déplacements inutiles pour tenter en vain de voir des responsables ) je me suis dit qu’il
fallait que j’enregistre l’absurdité bureaucratique lors de ma présence involontairement burlesque, écrite ou vocale,
mais contrairement aux boucs - émissaires des films de Michael Moore auxquels il faut des coupables identifiables,
le film n’est pas du tout éloigné d’Hollywood, au contraire ! il l’est en une autre approche que celle du footage que
je fais d’habitude.
1. le contre - exemple de Michael Moore à qui il faut des coupables pour parachever son documentaire et son besoin
racoleur de taper l’œil.
2. Le cinéma burlesque dépeignant un univers de plus en plus technique, technocratique qui broie l’individu surtout
s’il est marginal, différent.
3. Son titre fait écho à l’un des plus grands films d’action moderne, Live Hard / Piège de cristal, et y greffe sa structure
dramatique et allégorique, ainsi que la notion d’« emmerdeur » du protagoniste du film ( auquel je m’identifie secrè-
tement pour venir affronter les cerbères de la tour ). Et non content de ça, j’y « colle » une analyse du film et dédie
mon propre court à John McTiernan incarcéré par le FBI durant le making of de mon film !
4. La mise en pratique d’un syndrome que j’ai inventé à partir du personnage de l’inspecteur de police de Columbo:
le syndrome Columbo. Il consiste à jouer au con pour mieux provoquer les travers de ton antagoniste et voir s’il a de
bonnes ou mauvaises intentions à ton égard ! C’est presque de l’art martial, cela te permet de mettre à découvert
ton adversaire et de mieux l’appréhender.
Quant à la bande - son, c’est la réelle et unique 3D du cinéma. En France, on sous-estime particulièrement le
son, lui prêtant souvent un souci vériste soumis totalement aux dialogues. Le son doit être une création autant que
l’image et les deux doivent être liés autrement que pour se soumettre à l’autorité d’une histoire, aussi belle soit-elle!
Pour France Télécom, je voulais le son brut des captations sonores constitutives du film afin de le confronter ou de
l’éprouver à d’autres textes, visuels ceux-là, ou à l’austérité du noir de l’image. Dans un second temps, j’accompa-
gnais la bande son par l’effet visuel du « datamoshing » sur le plan séquence fixe de la tour. Le syndrome Columbo
fonctionne et éprouve le discours mensonger ( ou de mauvaise foi ) de mes interlocuteurs.
CHAPELLE DES CARMÉLITES / CINÉMA LA STRADA DECAZEVILLE
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