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Véronique SAPIN
Soif de Colombe, Toulouse
« Au milieu d’un champ de bataille qui la perturbe, une colombe n’en finit pas de s’abreuver.
Ou bien est-ce la paix qui a le plus soif d’une colombe. »
Véronique SAPIN
Soif de colombe : Un oxymore
La réitération d’une scène qui devrait être de paix, celle d’une colombe buvant à une fontaine, suffi-
rait-elle à arrêter la guerre. Le projet artistique de Véronique n’a jamais abandonné un tel espoir voire une telle foi.
Qu’elle se batte pour le collectif FemLink-Art, pour que les femmes de chacun des pays du monde puissent faire
œuvre vidéo, qu’elle filme ou « installe » ou photographie, sa pratique artistique n’est jamais vaine.
Soif de colombe n’y déroge pas dans sa simplicité de discours et son refus de l’image PAD – prêt à
diffuser. Une très brève vidéo de l’oiseau désigné - buvant en se penchant sur une fontaine en forme indistincte
de rocher, se redressant pour boire à nouveau - ne cherche pas la description ornithologue ni la connaissance
animalière. L’oiseau est retenu pour son pouvoir allégorique comme colombe de la paix et s’il n’est pas capté dans
son vol et sans le rameau d’olivier, c’est que son retour à l’eau en boucle devient métaphore de la soif inextinguible
qu’elle partage avec celle de Paix de l’humanité meurtrie, attaquée par les guerres à travers le monde. Ainsi ses
mouvements pour boire ne sont-ils pas liés à une nécessité biologique, elle cesse de boire lorsque débute une salve
et recommence dans les accalmies.
L’indistinction est provoquée par l’image volontairement pixellisée, le lieu n’est que carrés noirs et
blancs sans précision topographique puisque « toutes les nuances du paysage passent à la trappe pour ne corres-
pondre qu’à la pensée unique et bipolaire ( 0 - 1 ) qui sert de moteur politique à la guerre ». La colombe pixellisée
y est aussi perdue, victime.
La colombe survit sur un fonds guerrier dont ne surnagent que des contours, malmenés eux-mêmes, parce que la
guerre sur son chemin de destruction totale emporte aussi la beauté du monde, et ce, en se grisant de ses sons
agressifs, quant à eux terriblement précis. La bataille est, en effet, en sons : hélicoptères, tirs de mortiers, mitrail-
leuses, la préparation de l’arme; rien d’humain, les armes sont maîtresses dans ce déchaînement, écho d’Apoca-
lypse now pour ne citer que ce film emblématique de cette absurdité meurtrière.
Pour en être abasourdi et non spectateur distancié, il fallait une forme nous séparant de notre espace
en paix. Une tente verte avec le camouflage troué inhérent gardait la colombe assoiffée; il fallait pénétrer dans ce lieu
militaire pour en antiphrase saisir que l’on aspirait au calme de la colombe contre ce vacarme guerrier. On y entrait
avec le sourire comme pour une expérience, on en sortait bousculé comme réveillé.
Simone DOMPEYRE *
CHAPELLE DES CARMÉLITES
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