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Derek WOOLFENDEN

   La musique finale emprunte au générique de fin d’un film épique japonais de la fin des années 50 et y rapproche
ma performance, et reconnaît la fiction comme triomphante du réel malgré la dimension implacable et imprenable
de la tour se recomposant tel un phénix renaissant de ses cendres ( écho au World Trade Center dans la sensation
que la tour fond de plus en plus ).

              Le film se veut juste un témoignage usant de la fiction comme écho révélateur du réel, comme anamor-
phose. Cependant, la caméra / l’enregistreur son deviennent des armes de menace ou des instruments intimidants
fort utiles. Et l’objet filmique, un fétiche éloignant les mauvais esprits et me protégeant des mauvaises ondes de la
bureaucratie moderne de plus en plus confuse et aliénante.

              L’écho au cinéma populaire ou à sa culture ( Camus, Piège de cristal, Musashi, Gabin, Guitry…) dans
France Télécom vise à faciliter l’empathie cathartique de mon spectateur et à le faire sourire pour des problèmes du
même ordre qu’il rencontre lui aussi tous les jours! Et surtout m’éviter de me complaire dans un misérabilisme plaintif
et aigri ! Je préfèrerais toujours l’ironie ou le sentiment baroque, voire grandiloquent de certains motifs, même si le
sujet est a priori austère et qu’il favoriserait la complainte.
Par ailleurs, toute œuvre est politique que ce soit dans son écriture ou/et dans sa diffusion. Et sociale, bien sûr ! Dans
France Télécom, j’en profite pour parler de ma précarité et certaines de mes images verbales, pour convaincre ou
sensibiliser mes interlocuteurs, sont dures. Quand je compare la suppression d’une boîte mail à quelqu’un qu’on vire
de son appartement, mais auquel en plus, on confisque tous ses biens, c’est du vol ! C’est également un film qui se
joue du racisme en France. Je m’entoure, dans les deux reprises de mon assaut, de deux de mes potes qui sont noir
de peau et métis. Et je sais pertinemment que le racisme latent se glisse insidieusement chez mes interlocuteurs et
au travers du caractère intrusif (et illégal) de ma performance. J’en ai même profité en ayant sommé mes amis de
ne jamais émettre une parole ou un mot pour « garder la main ». Ils doivent seulement regarder fixement mes inter-
locuteurs afin de leur faire perdre le contrôle au fur et à mesure de ma réclamation et affaiblir leur aval psychologique
en fonction de ma requête typique du client consommateur mécontent.

              Puis le film circule et appartient à ses destinataires et c’est un honneur quand le spectateur/la spec-
tatrice est une personne en qui j’ai confiance et qu’elle renouvelle sa visibilité via un dispositif inédit. La décision
d’« exposer » mon film comme une installation, et dans un édifice religieux, a contribué à la réalisation d’un autre film.
J’ai redécouvert France Télécom et ai apprécié la correspondance entre les effets formels / visuels / picturaux du da-
tamoshing et la teinte de la pierre avec ses dénivelés de rose; le film a pris une forme organique quasi monstrueuse
et, dans ce contexte ( sacré ), s’est renforcé ! La dimension sonore du film en a payé son tribut en se dispersant dans
le coffre de cette grande et magnifique salle, en se mêlant aux autres films. Très narratif le mien dépend de sa propre
bande sonore, et il s’est affaibli juste sur ce point mais il y avait des casques pour devenir à son tour très fortement
l’interlocuteur des télécoms.

                           Photo : Roberto ALVAREZ

CHAPELLE DES CARMÉLITES / CINÉMA LA STRADA DECAZEVILLE                                                                      137
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