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Vidéo Traverse Vidéo 2016 - L’atypique trouble 68
l’architecture et les utilisations de la propriété historique, elle peut aussi se souvenir des critères de
l’honnête homme, du courtisan qui devait répondre aux critères d’excellence de la pensée comme
du corps. Ainsi sous le sourire amusé, se glisse la potentialité d’un dialogue visionnaire entre l’art
contemporain et la dimension historique des espaces, libre de tout stéréotype esthétique. Simone D.
un regarD D’artiste
Olivier CHEVAL, A quoi rêvent les androïdes ?
À quoi rêvent les androïdes dans le cyberespace ? Qu’y font-ils lorsque, abandonnés à eux-mêmes, ils
cessent d’être nos avatars digitalement commandés ? Que peut bien être leur vie quand nous avons
le dos tourné ?
Peut-être deviennent-ils les touristes de cette immense réserve d’images qui a nom Internet. Dans The
Museum is Free (cf. p. 21), j’ai imaginé l’une de ces visites, dans un musée consacré aux photographies et
aux flms qui ont consigné la violence des soixante-dix dernières années. Les androïdes ne comprennent
sûrement pas grand-chose à nos guerres, aux crimes et aux attentats qui agitent notre monde - mais
comment l’effroi ne les saisirait-il pas lorsqu’ils découvrent que certains de leurs semblables, catapultés
dans des jeux vidéos violents, participent à leur manière à ces confits humains ?
Mais peut-être les androïdes sont-ils irréductiblement coupés de tout ailleurs, sans pont qui les relierait
aux autres lieux du cyberespace, étanches aux images d’autres programmes, d’autres adresses, d’autres
écrans ? C’est l’impression que m’ont donnée deux courtes vidéos de l’américain Henry Gwiazda. Dans
Toys (cf. p. 35), un enfant joue avec la maquette d’une petite ville réduite, assis dans la cour d’une maison
d’architecte. L’espace qu’invente ce plan fxe en image de synthèse pourrait exister dans la réalité ; y
serait, cependant, déjà contaminée par le monde virtuel : la maison sentirait trop bien sa modélisation 3D
par un jeune architecte travaillant à partir de son ordinateur, elle serait à peine plus réelle que les petits
bâtiments avec lesquels joue l’enfant. Mais joue-t-il vraiment encore, enfermé dans cette image unique
d’une réalité qui semble s’être éloignée à jamais ? La vidéo qui succédait à Toys, Why whe have survived ?
(cf. p. 35), par cet enchaînement même, semblait participer aux maquettes de l’enfant, comme si on
allait un cran plus loin encore dans l’abyme du virtuel. Là, quelques individus attendent de traverser
la rue dans le centre sans âme d’une ville américaine. Ils n’attendent pas qu’une voiture traverse ou
que le feu passe au vert, mais que l’infographiste qui les gère fnisse une série d’animations sonores
et lumineuses dans le plan, que le vidéaste a ironiquement indiquées au fur et à mesure par des mots
s’inscrivant à même l’image. Ces personnages sont les jouets de l’enfant de l’autre vidéo, si l’on veut
bien considérer cet enfant comme la métaphore de l’artiste à l’ère numérique.
Les différentes vidéos et installations de Sandrine Deumier (cf. p. 78) à l’Espace Croix-Baragnon inversent
ce jeu. L’artiste imagine le cyberspace comme un grand vide lumineux à la temporalité cotonneuse,
où une androïde erre comme une somnambule. Et si c’était elle qui jouait avec nous depuis ce monde
supérieur, d’une abstraction parfaite ? Dans l’une des vidéos, elle joue avec un smartphone suspendu
à un selfestick. Sûrement s’amuse-t-elle de la vanité de nos existences et de leur matérialité encore
douloureuse, elle qui semble léviter sur quelque peluche rose d’un confort parfait. Et quand elle a fni
de jouer, de se connecter à notre monde, alors elle se repose, étendue dans la blancheur étale, rêvant
à d’autres mondes encore. Et quand elle se sent seule, elle fait apparaître un enfant qu’elle tient dans
ses bras, éphémère madone 2.0. jouant à la vraie vie.
- 7. Un regard d’artiste -