Page 105 - catalogue 2017
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3. Prép’Art Photographies
Pourtant rien de désastreux, la quiétude teinte l’image quand le regardeur, lui, est confronté à une nature morte
quasiment en 1/1.
Lieu de passage, entre un devant et un derrière, la maison a gardé sa porte ; lieu de passage en trompe-l’œil puisque
la photographie sur toile simplement posée sur de simples cales de bois avoue sa fonction d’œuvre.
Deux « ça a été » se superposent : le réel de l’après-séisme destructeur induit par les dégâts et celui de la
photographie, « obtenue » or l’un et l’autre quittent cette fonction de document par leur signifant. La fenêtre forme
une diagonale vers la ligne du futur, un triangle s’esquisse au-dessus plein de ciel, le sol ne s’encombre pas de
gravats, de cailloux. La clarté est douce.
Ce n’est plus un souvenir de - les indices manquent - mais un présent diférent qui laisserait le temps en suspens.
Une sensation de ralentissement. La ruine porte généralement l’idée de la chute, et entraîne vers la mélancolie,
Traverse de Elena Salah porte celle d’un passage possible encore.
Simone Dompeyre
Pascale SÉQUER, Bateau ivre (Fr.)
Après un documentaire de création et une série photographique
de l’univers insolite du catch en Belgique, j’ai, durant deux ans,
photographié les Carnavaleux de Dunkerque.
Chemin faisant, j’ai noté de nombreuses similitudes entre le catch
et le carnaval, des échos entre leurs rituels, codes et usages.
La hiérarchie est renversée, des contraintes qui s’exercent, les
autres jours de l’année sont rejetées.
Ainsi, s’accordent-ils un moment de décompression sociale, ce,
notamment par l’inversion des rôles et la possibilité de se dissimuler
grâce au travestissement lors duquel ils deviennent, l’espace de
quelques heures, de quelques jours, un autre.
Cette fois-ci, j’ai dirigé l’objectif de mon appareil photo sur les
chapeaux que portent les Carnavaleux. Parures qui font de la
tête, la partie la plus architecturale et la plus théâtralisée du
corps. Chaque chapeau décline un chapitre particulier de formes
portées en des positions surprenantes, fabriquées, parfois avec un
grand rafnement, en accumulant des objets tout aussi diversifés
qu’incongrus : tasses à thé, tubes de rouge à lèvre, chaussons,
peluches voire carambars…
Le choix de tels objets et leur assemblage, interrogent par-delà
les formes, les notions de territoire. Y sont réunies l’outrance,
l’imagination débordante et l’originalité du monde de chacun des
Carnavaleux.
Ils en libèrent les objets de leur contexte, leur accordant un sens hors du commun tout en suggérant la contingence
de l’existence humaine.
Cette série photographique fait aussi allusion à Carême, ce temps de privation, de jeûne et d’abstinence sexuelle,
l’opposé du temps joyeux du carnaval et j’ai cherché à rendre visible le plaisir et la fugacité toujours voisins :
l’agitation profane du carnaval est toujours suivie du rite religieux des Cendres.
Son titre : Bateau ivre, s’il est un écho à la poésie de Rimbaud, est un hommage aux pêcheurs de Dunkerque qui
partaient six mois pour la grande pêche à la morue « à Islande » sans l’assurance d’un retour et qui, avant le départ,
s’enivraient, se déguisaient, recherchant cet état d’euphorie transitoire.
C’est un hommage à Dunkerque et à son phare, le bateau-feu. Ce bateau était mouillé en mer, au moyen d’une ancre
spéciale, à proximité des hauts fonds dangereux dont il signalait la présence. Trois ports avaient besoin de bateaux-
feux pour éclairer leurs approches : Dunkerque, Boulogne et Le Havre.
C’est certes un hommage à la poésie des Carnavaleux, à leur créativité, à leur inventivité et à leur beauté !
« Le Bateau ivre » de Rimbaud décrit comment un bateau rompt ses amarres : « c’est le poète rompant avec les
normes, les conventions de la morale, l’idéologie dominante de la société. »
Il réclame aussi de se souvenir de Baudelaire qui réclame d’ « être toujours ivre. Tout est là : c’est l’unique question.
Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer
sans trêve.
Mais de quoi ? De vin, de poésie, de vertu, à votre guise. Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois, sur les marches d’un palais, sur l’herbe verte d’un fossé, dans la solitude morne de votre chambre,
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