Page 106 - catalogue 2017
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Photographies 3. Prép’Art
vous vous réveillez, l’ivresse déjà diminuée ou disparue, demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à
l’horloge, à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit, à tout ce qui roule, à tout ce qui chante, à tout ce qui parle, demandez
quelle heure il est; et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront : « Il est l’heure de s’enivrer! Pour
n’être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous; enivrez-vous sans cesse! De vin, de poésie ou de vertu,
à votre guise. » Petits poèmes en prose
4. Chapelle des Carmélites
Sophie LE BÉON, Violence(s) (Tlse)
Qu’est-ce qui réunit les peintres David-
français, peintre de très grands tableaux
moraux d’Histoire - ici de celle de Rome-
exaltant les vertus et le patriotisme à
la fn du XVIIIème siècle - Massacio qui
peint, au quattrocento, sur un pilastre de la
chapelle Brancacci à Florence, la fresque
de la honte d’Adam et Eve chassés dans
leur nudité du Paradis -, Colijn de Coter
primitif famand du début du XVIème et
l’une des trois Marie du volet droit du
Retable de la Trinité, l’une des trois œuvres
qu’on lui reconnaît - et Antoine Carrache
Italien - mort en 1618, dont Le Déluge
préfère décrire la grande peur des humains
devant les eaux montantes - ni les dates ni
le style ni le programme mais le privilège
de la gestuelle comme paroles sans
mot, comme discours «des passions de
l’âme»; cela cette œuvre de Sophie le Béon en emprunte des traces de gestes peints, des fragments d’attitude. Sa
photographie est palimpseste et elle l’explicite. Dans un cadrage se resserrant sur le geste, connotant la citation,
d’autant qu’oublieuses des couleurs picturales, elles sont en noir et blanc, quatre petites images jouxtent les quatre
grandes photographies de Sophie Le Béon, elles en couleur.
Le titre respectif de celles-ci, très éloigné du domaine de sens des tableaux retenus, forme le schéma d’une structure
bien plus prosaïque, celle de l’entreprise ou du moins le monde du travail : L’organisation et La Pointeuse font face
à L’Emploi du Temps et au sol, posé à côté logiquement, L’Excédent. Employés, hommes et femmes adoptent les
gestes des œuvres muséales. Les citations sont un puits de sens : Ut pictura poesis, la poésie est une peinture
parlante, la peinture une poésie muette - ainsi que Léonard de Vinci le réclamait pour que la peinture jugée simple
artisanat soit intégrée au panthéon artistique. Cela implique que plus ou moins codifés, expressions, gestes et
postures se lisent comme des substituts de mots.
Ainsi, les quatre « modèles » retenus participent au vocabulaire du désespoir dont les codes sont immédiatement
lisibles d’autant qu’ils viennent du quotidien : les mains se couvrant le visage prouvent l’afiction intense, sans cris
depuis la Grèce antique… ces signes se perpétuent pour dire la douleur durable. Adam du Massacio sait, il a pris
conscience de la faute.
Coudes repliés, doigts très serrés, mains jointes très près du visage plus calme, clament la douleur que Marie du
Colijn - et d’autres femmes en peine de la peinture du Nord de l’Europe - tente/nt de contenir près du Christ mort.
Tête penchée, un bras sur l’épaule d’une compagne, l’autre bras ballant en signe de passivité, la femme du Serment
des Horaces obéit à la partition des fonctions sociales : aux hommes, la virile décision du devoir, aux femmes,
l’afiction retenue dans une austérité patriotique. L’Eve du Massacio, elle grimace, bouche hurlante, ouvertement
quand Adam cache son visage.
Les bras ouverts, levés vers le ciel du Carrache sont synonymes de cri de désespoir, un appel au Dieu muet dans un
geste écho à la crucifxion. En écho photographique, des personnes contemporaines miment ces gestuelles, sans
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