Page 107 - catalogue 2017
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4. Chapelle des Carmélites Photographies




l’ombre d’une demande à un Dieu mais dans la soufrance que peuvent engendrer certains secteurs du monde du
travail : c’est la fatigue qui rassemble deux femmes, yeux baissés devant la machine marqueuse du temps, qu’elles
doivent suivre.
C’est la difculté de l’homme en simple pull de laine, en premier plan, devant un long couloir en grande profondeur
du champ, indiciel des obligations lourdes qui pèsent sur sa responsabilité.
C’est un homme dont les vêtements estivaux ne l’empêchent pas de maudire cette accumulation de palettes
encombrant son espace. C’est une jeune femme, mains jointes devant téléphone et agenda tenu ouvert par un stylo,
dans son appartement, face à la difculté de trouver le temps pour ses tâches.

Un monde trivial tout aussi difcile pour ceux qui subissent les lois séculaires que l’étaient l’ire de Dieu ou le
patriotisme romain et tout aussi lumineux iconiquement. Sophie le Béon compose expressément ses photographies
où cadrage et premier plan favorisent l’humain et leur attitude expressément expressive, décalée de la gestuelle du
quotidien. Elle décolle du réel, elle refuse la fausse similarité photographique. Elle emprunte des codes bien au-delà
d’une citation, d’un savoir savant. Elle sait que l’on dit mieux le monde en allégorie / Elle sait que ses images
ramènent à la personne parce qu’elles s’en détachent et que silencieusement, elles disent le mal subi.
Ce quatuor est fgure du malaise vécu par les employés d’entreprise. Il ne désigne pas telle ou telle personne réelle
mais ce qui est ressenti de violent par chacune d’elles.

Sa manière de titre, Violence(s) avec le (s) qui, oralisé, pose question à la manière des Histoire(s) du cinéma de
Godard réveille, ce faisant, une réfexion du réalisateur regrettant que le cinéma s’intéressât si peu au monde du
travail… lui avait tourné Passion, en 1982, où l’ouvrière licenciée, et à laquelle on refusait la parole, refusait elle de
quitter l’usine. La jeune femme bégaie… Godard y alterne la quête d’un réalisateur qui cherche la lumière juste et
tente de reconstituer flmiquement diférents tableaux de Delacroix, Ingres, Goya et Rembrandt.
La lumière est aussi la question fondamentale : celle des photographies très focalisée sur la personne mais
se refétant sur l’alentour ; celle nécessaire à les voir dans la pénombre de la Chapelle dont d’autres allégories
religieuses et des vertus veillent ; celle faite à cette catégorie de personnes, la lumière que Sophie le Béon nous
conduit à leur accorder.

Simone Dompeyre
5. Les Abattoirs



Céline HENRY, Dans le noir (Fr.)


De même que Daguerre tentant de s’approprier la paternité
de la photographie lui donna son nom et l’invention de Niepce
devint daguerréotype, Man Ray dénomma « rayographie » ou
«rayogramme», le photogramme, cette image obtenue par position
d’un objet sur une surface sensible exposée à la lumière. Il y soumit
divers objets en composant des rencontres incongrues et poétiques
de formes droites et courbes, de formes référentielles ou pas
reconnaissant dans le photogramme -comme dans la solarisation-
qu’il « transfgure les objets du quotidien, en donne des formes
spectrales. » Le Retour à la Raison, son premier flm, réalisé en
1923, en reconnaît la force d’étrangeté esthétique puisqu’il série
divers photogrammes de sel, poivre, épingles punaises, ressort…

C’était après Christian Schad qui le pratiqua, dès 1917, comme
« schadographie », dans la porosité des genres puisqu’il y adjoignait
dessins et peintures, et simultanément à Moholy-Nagy, dont
Ein Lichtspiel schwarz-weiss-grau / Jeu de lumière noir-blanc-gris,
en 1930 poursuit cinématographiquement sa quête d’un espace
immatériel avec surimposition et interpénétration des composants.




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