Page 111 - catalogue 2017
P. 111

1. Espace lll Croix-Baragnon Installations


INSTALLATIONS
Le 11 mars 2002 sur le toit du Battery Parking Garage proche de Ground Zero furent installés 88 projecteurs pour
rendre hommage aux victimes des attentats du 11 septembre 2001. Élaboré sur le socle d’une telle bonne intention,
ce dispositif aurait dû, cependant, rappeler celui monté par Albert Speer, 66 ans plus tôt et ses conséquences
désastreuses puisque même dispositif, même piège, il provoqua à l’identique la mort de tant d’oiseaux.
Cette convergence explicite le titre réunissant la localisation de ces deux lieux : 49°26’2.5’’N11°06’44.8’’E dont se
saisit la raison d’être du noir régissant l’installation.
Un immense livre posé sur une table haute, dont le spectateur tourne les pages avec des gants blancs.
Un écran en place de lumière où les images perturbées de raies indistinctes noire et blanche.
Deux haut-parleurs juchés sur de hauts trépieds les fanquent.
Au sol de la poudre épaisse noire, du résultat de combustion.
Une semi-lumière, une semi-obscurité noie l’espace.
Un sanctuaire aux morts inutiles produites par la glorieuse bêtise des hommes avides de pouvoir, de pouvoir sur
les foules.
Un sanctuaire à la pensée ainsi détruite… avec le risque couru devant l’enivrante force de la beauté.

Simone Dompeyre



Jérôme COGNET, FAHRENHEIT 320, 1h52min55 (Fr.)

DYSTOPIE(s)
La projection démarre.
Et dès le premier regard, le spectateur perd
tous ses repères.
Précipité dans un hors-temps, dans un
hors-lieu, il a pourtant l’impression étrange
et forte, de s’arrimer et de prendre pied
dans un fux. Une impression paradoxale:
celle de s’ancrer dans une mouvance, dans
une succession intense et fulgurante faite
d’une cascade de couleurs. Avec Fahrenheit
320, Jérôme Cognet met en oeuvre et flme
un continuum d’images, met en branle un
rythme visuel lancinant et déclenche un fow
incessant fait d’énergies multiples.

Faire un flm,
c’est faire des images mais, en simultané,
c’est également travailler sur la couleur, le
son, les sons, les bruits, la vitesse, l’espace,
le temps, la parole, la pensée. C’est travailler sur le phénomène de reproductibilité tout en rendant visible
ce qu’il en est de l’aura telle que Walter Benjamin l’a évoquée: … « Une singulière trame d’espace et de
temps : l’unique apparition d’un lointain, si proche soit-il. »

Faire un flm,
c’est encore penser à la question de l’original donc de l’unicité et, dans le même temps, c’est se confronter
à la question de la répétition et du multiple. C’est mettre en écho voire en dialogue, l’image en mouvement
avec le texte et l’écrit ainsi qu’avec la couleur et le son. C’est travailler et mettre en travail ces objets que
sont le flm, le livre, la peinture. Et c’est bien-sûr, inévitablement, devoir questionner et mettre en question
l’éthique, le social et le politique.

Ainsi, le choix du vidéaste de re-prendre Fahrenheit 451 de Trufaut, lui-même s’appropriant le texte de
Ray Bradbury, est tout sauf neutre car il s’agit bien là de mettre en actes, et en action, une réfexion
sur le lien brûlant existant entre diférentes modalités d’être-au-monde et diférents dispositifs: ceux des
systèmes de surveillance, ceux des sociétés disciplinaires et d’enfermement.




109
   106   107   108   109   110   111   112   113   114   115   116