Page 130 - catalogue 2017
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Installations 8. Prép’Art
enzo k, Parasites (Fr.)
Quel sens prêter aujourd’hui à une galerie de télévisions à tubes
cathodiques noires, massives, trônant sur leur petit socle ?
Qu’évoquent aux plus jeunes ces divinités archaïques, quels
souvenirs éveillent-elles chez les spectateurs qui, jusqu’au début
des années 2000, se rassemblaient devant le 20h ou consommaient
en catimini des mangas dès le petit matin ?
Désormais plat et léger dans nos poches ou géant dans les salons,
bureaux ou vitrines, l’écran est moins objet d’un rituel que partie du
corps, cerveau externe ouvrant sur un fux d’images inépuisable,
non hiérarchisé.
Une télévision d’environ vingt-cinq kilos, d’une épaisseur moyenne
de quarante centimètres, redonne corps aux images qui l’habitent.
Les courtes animations que difusent les postes de l’installation Parasites tournent en boucle, leur bande-son
entremêlée formant un brouhaha discordant, agaçant. La déambulation rend à chaque séquence sa spécifcité :
paysages spectraux ou compositions abstraites au mouvement saccadé ; individus répétant indéfniment le même
geste, la même mimique, parfois perturbés par un élément importun (Mickey apparaissant furtivement entre deux
commères).
Rythmant l’installation, les photomontages numériques manient, de la même manière, le télescopage des sources,
à l’instar de ces surfeurs nudistes posant innocemment devant un champignon atomique. Les images résultant de
bugs côtoient les archives personnelles, les illustrations croisent les documents historiques... Sous une apparente
absurdité, les éléments qui se rencontrent ne sont pas anodins et si certaines images expriment ouvertement le
désenchantement, d’autres détails évoquent des pages de l’Histoire presque invisibles mais tout aussi tragiques.
Ainsi la question de la source se pose constamment, dans les animations comme dans les photomontages, en écho
au nivellement des données sur la Toile : à quel moment la rencontre entre des documents disparates donne-t-elle
lieu à une nouvelle image, évidente et troublante, riche de ses origines variées ?
Patrick HÉBRARD, S’approchent les déserts, 25min (Fr.)
L’image mise à nu par l’écart même.
Une image passe, toujours la même, semble-t-il, et toujours autre.
Une femme en rouge et puis un homme et puis un autre. Ils sont
dans un désert ou quelque chose qui y ressemble, en tout cas,
c’est ce que suggère le titre. L’écran est coupé, un peu comme si
on nous avait retiré la possibilité de voir. On n’y voit rien ou pas net
ou pas entier. Le problème surgit ici, la liberté aussi.
Présentée comme un tableau sur deux niveaux et conçue comme
une sculpture, l’installation vidéo S’approchent les déserts de
Patrick Hébrard est un écran ouvert, pardon : écarté. De cet écart émerge un espace. Espace et écart, les mots sont
importants parce que, précisément, dans le texte qui se déroule en voix of des images de l’installation, les mots ont
perdu toute signifcation. Se matérialise ainsi, dans le creux de l’image et l’oubli des mots, l’inadéquation essentielle
de ces deux systèmes de représentation. Dans S’approchent les déserts ni le mot ni l’image ne disent. Ils ne sont
pas là pour ça. Alors que se passe-t-il ?
Il se passe ce que le diférent crée : la fragilité du sens, la précarité du savoir. Nous sommes là et nous ne savons
pas. Nous ne savons pas d’abord ce que nous regardons et puis la manière de le dire mais arrive, sous ces
indéchifrables, la possibilité d’un espace. Comme l’escargot de L’Annonciation de Del Cossa pour Daniel Arasse,
comme les deux doigts d’Alexandre Medvedkine cadrés en plan rapproché par Chris Marker au début du Tombeau
d’Alexandre, le dispositif de Patrick Hébrard rend présent l’endroit de l’écart : l’espace ténu où l’image se dit elle-
même et où le mot se montre. Le document s’y impose sous sa forme radicale : une zone, un support sur lesquels
toutes les lectures du monde peuvent se poser. Dans S’approchent les déserts, ce ne sont pas les lectures qui nous
sont données à voir mais bien cette zone même.
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