Page 131 - catalogue 2017
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8. Prép’Art Installations




Cette zone imprécise et immatérielle arrive dans des décisions plastiques extrêmement prégnantes. Il y a cet écran
écarté et ces mots choisis pour leur imprécision, pour tout ce qu’ils ne signifent pas. Il y a le fou des images qui
souligne une présence non afrmée : on voit qu’on ne voit pas. Il y a cet espace suspendu (donc) qui nous amène à
toucher la banalité du tragique : ce qu’il advient quand les acteurs descendent de la skèné et tentent de jouer avec le
chœur. Il y a, enfn, le jeu des comédiens qui semblent tous interagir avec quelqu’un ou quelque chose qui échappe
au regard : qui n’existe pas pour nous, spectateurs.
Nous sommes ainsi, en permanence, confrontés au remontage nécessaire d’images et de mots qui ne s’afrment
pas ou plus exactement qui afrment la liberté de ceux qui construisent les images tant à leur conception qu’à leur
réception.
Nous percevons que nous ne voyons pas, nous entendons que nous ne saisissons pas. Tout échappe et s’ofre
comme un infni de possibles. La tragédie peut naître, comme le pensait Nietzsche, de cette capacité de l’artiste à
fgurer le rêve tout en lui donnant une forme qui renvoie à deux états : le sentiment de la pleine compréhension des
éléments en présence et celui que nous avons afaire à de simples apparences. L’espace de la tragédie donne un
lieu à cette perte de repère, à ce doute essentiel : suis-je en train de rêver ? Cet espace, cette question constituent
un écart qui nous font buter sur le réel et sa représentation, parce qu’enfn nous n’avons plus à comprendre.
Dans S’approchent les déserts de Patrick Hébrard, les images, mises à nu, laissent deviner leur part invisible. Toute
image repose sur un manque : ce qu’on ne peut voir, mais les images, ici, y font face. Elles assument cette absence,
cette privation. Elles la déclarent et ce faisant, elles s’ouvrent. L’écart fait ainsi de l’image un seuil.

Emilie Houssa
Gustavo KORTSARZ, FAHRENHEIT 451, 24min (Arg.)

Fahrenheit 451, l’installation de Gustavo Korsatz emprunte à
Bradbury, son titre déjà adopté par Trufaut, en 1966, dont le flm
éponyme décrit aussi un futur dystopique où les pompiers brûlent
les livres, où chaque habitant est invité à dénoncer ses voisins, ses
amis voire ses parents s’il les surprend à lire. L’appellation désigne la
température du point d’auto-infammation du papier exprimé en
degré Fahrenheit dans le système anglo-américain.
Les pages d’une Édition de poche de Fahrenheit 451 de Ray
Bradbury attirant spontanément le feu, sont consumées par les
fammes jusqu’à être carbonisées; cependant ce processus fait un
retour en arrière et le livre carbonisé retrouve son état originel. Une
vingtaine de minutes sufsent à détruire, bien moins que ce que
réclamerait sa lecture.
Le livre est inséré dans un bloc de résine seulement éclairé sur son socle noir comme les débris du livre, lui-même
posé au centre d’une pièce au plafond bas à laquelle on accède par un escalier étroit. L’espace est pris aussi par
une composition de Garth Knox, forte, prégnante. Les connotations se conjuguent.
Qui empêche-t-on de lire, de penser en se ressourçant à la pensée des autres.
La question de la censure ainsi lancée en 2001, lors de sa première programmation, loin d’être obsolète s’est
réveillée sous les assauts à cors et à cris d’intégristes de l’idéologie totalitaire à nouveau régnante et rayonnante
dans divers états du monde voire dans certains groupes en Occident.
Si en 2001, on pouvait écrire : « Aujourd’hui on ne brûle pas les livres. Ou plutôt on ne les brûle plus. Il arrive qu’on les
interdise, et encore, rares sont les pays occidentaux où une censure ofcielle continue de s’exercer sur les œuvres
de l’esprit. » On ne le peut plus. Les fatwas se multiplient, les œuvres se piétinent, sont jetées ou sous couvert de
protection de tel ou tel groupe annulées par la censure.
La brûlure réelle ou métaphorique atteint tous les genres et médiums… Ce contre quoi, la réaction artistique
s’insurge : très volontairement en antiphrase, l’incendie s’allume en plusieurs lieux de cette Traverse Vidéo 2017, en
chemises métonymiques Incendie de Frédérique Chauveaux, avec un titre très proche, en footage sonore du flm de
Trufaut, Fahrenheit 320 de Jérôme Cognet.
Simone Dompeyre








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