Page 132 - catalogue 2017
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Installations 9. Cinémathèque de Toulouse - boucles sur écran

Les soeurs h, La vie de Fräulein Erzebeth est une sorte de chaos organisé
12min01 (Suisse/Belg.)
Le titre, par le prénom peu usité de Erzebeth, réveille le souvenir
de la comtesse Bathory et de sa sinistre réputation de bourreau
et meurtrière de jeunes flles dans le sang desquelles elle se
baignait, mais le statut spécifé de femme / fräulein et les manières
d’être éloignées de celles du XVIème siècle induiraient une simple
et douce inquiétude. Et la surimpression, sur un idéal paysage
suisse lacustre et montagnard, de l’association de mots : le «chaos
organisé» revient à cette étrangeté constitutive, en préférant
la périphrase, pour évoquer le cosmos à savoir le désordre/ le
chaos devenu beau par le calcul d’un dieu mathématicien. C’est
privilégier l’oxymore – fgure dont le nom grec dit la fonction, en
unissant ὀξύς / spirituel, fn et μωρός / niais, ce qui est qualifer
le projet de « malin stupide » ou « de spirituel sous une stupidité
apparente ». En écho, la proposition de construction du personnage ainsi cité est déjouée par la vidéo qui refuse
les règles narratives alors que le portrait annoncé concerne davantage deux tout autres protagonistes : deux sœurs
désormais adultes, aux enfances liées... Plus encore, cette première période de la vie s’avère plus prégnante que
l’âge adultedénoté par Fräulein et les adolescentes plus visibles que la femme même si le récit s’amorce avec un
très gros plan d’elle et que son corps scande la narration. Une parenté avec une vie difcile se glisse quand un
sous-titre se réfère, dans le recul de l’irréel - « comme si elle devait être » - à Catherine Linton protagoniste des Hauts
de Hurlevent, dont la vie est racontée, a postériori, sans négliger la cruauté subie, par deux narrateurs masculin et
féminin.
Ce décalage mêlé d’absurde régit la structuration de la vidéo : fragmentaire et répétitive, elle déplace des corps en
détourage non escamoté, sur des territoires balisés ; elle déborde un temps linéaire en impliquant le fash-back qui,
lui-même, privilégie l’intrusion de marqueurs de crainte difuse, comme la rencontre avec un garde-chasse hors-
normes qui fait onduler ses longs cheveux blancs et luisants efaçant la connotation de leur blancheur ou se relève
dans un champ.
Le bucolique se déconstruit en afchant des termes sur fond noir pour asséner leur lecture ; Nostalgie / Souvenirs /
Soupirs ou avec un crescendo Deboires pour faire attendre la suite de la phrase : « elle dit » ; voire en début, et en
graphie plus grande, en lançant des mots que les enfants prononcent pour le plaisir de l’interdit Raclure / Chienlit /
Connaude / Crevasse mais sans l’enfant en petit maillot de bain déjà disparue du champ..
Un autre interstice, quant aux codes, ranime ce vague malaise dans la séduction vocale : d’abord et à la fn, en
chant, la voix est masculine face à une seule occurrence féminine ; elle devance l’implication du garde-chasse dans
le champ ou entraîne des parallèles légèrement anxiogènes ; les phrases préfèrent l’approximation de la double
entente quand elles ne changent pas leur intonation en mode mineur.
La voix masculine à la limite du haute-contre, décrit en anglais son sauvetage d’un oiseau entré dans « sa »
chambre, qui, exténué dans ses vaines tentatives à en sortir, tomba sur son lit ; or ceci est un écho renversant de
la chambre où déambule l’une des fllettes, qui y bénéfcie grâce aux deux fenêtres ouvertes d’une grande lumière
alors que cette image de clarté est tout aussitôt, refusée par les souvenirs d’enfance décrivant leur maison comme
« an haunted house hantee ». Les échos défont en ricochets toute tentative de dire clair. La langue franco-anglaise
mêlant les vocables des deux langues en une seule proposition, participe à cet empêchement.
Si le soupçon du pire subi par les enfants est suggéré, on ne peut exhiber de preuves de ce qui les a marquées, de
ce qui a transformé l’innocence de l’enfance et que la maturité traîne encore et toujours « j’ai tellement sufering »
parvient à prononcer Fraülein Ezerbeth. Ou bien ce sont des anecdotes peu ragoûtantes que l’on dit en riant tant
elles sont énormes ; par exemple manger une grenouille pour éviter de dire l’inconcevable.
La Vie de fräulein Erzebeth est une sorte de chaos organisé rejoint le cinéma réfexif qui se fonde sur l’option
plastique et musicale, en total accord avec le propos, commeLa Ronde de Ophüls avec le cercle, l’arc de cercle suit
l’élan de la succession amoureuse diégétique, quand le premier amoureux ferme la boucle en s’approchant de la
dernière amoureuse impliquée dans la valse amoureuse... tout y est cercle. Cette vidéo détourne la logique du dire
parce que dire l’indicible ne se peut sinon par décalage. Sa réfexion refuse le plein du sens, elle refuse de donner la
solution, elle ouvre l’exploration jamais achevée par celle qui est déconstruite... et sans l’expliciter provoque le recul
envers le garde-chasse, jamais expressément attaqué mais en mire de cette sourde inquiétude de cette toujours
détonante écriture. Elle est un oxymore.
Simone Dompeyre
Fabien MAHEU, Du blanc seulement, 8min (Fr.)
Ravi par le déconcertant quand « ravi » reprend sa polysémie: être heureux et être kidnappé ce qui réveille des
échos durassiens. Son espace-temps, en constantes petites saccades internes, s’éloigne apparemment au plus de
cet univers de Lol V. Stein. Cet univers-là s’étaie en un temps douloureux et obsessionnel, sur le manque devenu
viscéral de celui qu’elle aime - son fancé qui, un soir de grand bal, l’a oubliée sur le bord de la piste pour une autre.
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