Page 86 - catalogue 2017
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Performances 4. Lycée Ozenne



qu’elle éclaire son avenir de sa précieuse parole, plus personne n’aurait d’ailleurs le temps et la patience de la
déchifrer. Pourtant, ce don est toujours là, qu’en faire pour s’insérer dans cette nouvelle existence. Imaginons alors
la Pythie qui, imitant Lady Gaga et ses LCD glasses dans le clip de Poker Face, se serait chaussée d’un écran pour
barrer ce regard, cette possibilité de vision superfue et, reconvertie en borne humaine, aurait matérialisé un noeud
intangible de fux. Par cet écran tendu comme un miroir et par sa voix proche d’un fuide, elle débiterait à ceux qui
interrompraient leur trajectoire pour lui prêter attention, un hachis de langages, concaténation de registres suturés
d’hiatus-bugs, qui serait moins une verbigération d’intelligence artifcielle dysfonctionnelle qu’un refet de notre
environnement.
Sandrine Deumier, femme-borne « au tournant d’une tendance virtuelle de nos sociétés », est ainsi visitée ou
parasitée par la Pythie archaïque et virtuelle dans sa performance MDR, la trajectoire même des sons, comme
répercutés par des parois imaginaires, drainent le souvenir de la grotte. Certes, elle ramasse des membres de
phrases tombés de la grande lessiveuse médiatique dans laquelle nous évoluons pour construire sa langue, slogans
ou dirty talk, invite ou commande, fragment de code ou message formaté, bris de protocole expérimental ou jargon
de rapport d’entreprise, mais il ne s’agit pas d’un simple cut-up. Les mots prennent littéralement forme au point de
vampiriser l’image qui passe au second plan et, dans leur façon d’enfer, de pulser, de s’articuler, ils prennent corps.
Sandrine Deumier prouve comment ces éléments disparates se (re)connectent et recommencent leurs échanges,
comment la vie s’incarne à nouveau.
Jean-François Magre
5. Prép’Art


Andrea GREGORI, Toccata (Ital. / All.)
Une séquence de cinq notes longuement tenues porte le fondement
de la partition qui éveillant un état particulier, une sorte d’hypnose
musicale, occupe l’espace étonné.
Ces notes d’une œuvre sont les mêmes que celles de l’échelle
musicale orientale pentatonique, composée de cinq tons majeurs-
en grec penta : cinq. Composer un mode à 5 notes, c’est retenir
cinq positions parmi les douze possibles. Le continuum, cependant,
loin de créer la monotonie est réveil grâce à la sonorité aiguë du
clavecin et à la vivacité de l’interprétation.
Andrea Gregori a choisi Frescobaldi. L’œuvre instrumentale compte
un Livre de Madrigaux dès 1608 - le musicien est né en 1583 - un
recueil d’airs pour une ou deux voix et clavier en 1630, des messes
et motets et deux recueils de Canzoni pour ensemble instrumental
composés entre 1615 et 1645. De lui, aussi nombre de recueils
de Ricercari, Toccate, Caprici, Fiori musicali pour clavier, orgue
comme clavecin.
En cela, Frescobaldi suit la lignée, ce qu’afrment ses titres et
schémas partitionnels mais aussi sa technique instrumentale.

Cependant, Andréa Grégori le reconnaît comme expérimental
parce que son langage difère par sa grammaire, sa syntaxe, sa
stylistique et son expressivité. Il sait retenir des modalités qu’il
grefe à de nouvelles manières d’écriture. Sa trace historique naît de cette ambiguïté modale et tonale, il use du
chromatisme avec une subtile liberté toujours amoureuse de la clarté.
Andréa dont la recherche artistique quête décalages et distorsions de l’attendu, le retient comme l’inventeur «
d’un monde musical de consonances, dissonances, accords et passages virtuoses multiples. En début de son
interprétation, très passionnément, il donne les clefs d’écoute de ce moment inattendu en un tel espace d’exposition
pour l’expérimental. »
« En quelques mots, un pur monde baroque fantasmagorique, dans lequel le mouvement du discours musical joué
par les mains s’oppose à la fxité incantatoire de longues notes tenues sur les pédales de l’orgue. Tout s’amorce
et se clôt avec le long sol tenu en écho au schéma de la musique traditionnelle indienne – qui, par exemple, débute
sur un long et soutenu solo de voix. Dans une simplicité primordiale, quasi mystique, cela s’entend ainsi que l’aurore
d’un nouveau monde.
Cela commence dans les ténèbres ; une brume bleue se lève alors que résonne la première longue pédale. Au-dessus
du premier accord, apparaît un disque : soleil, lune, planète qui sait - il s’élève en intensité. La musique progresse
au-dessus d’autres notes, d’autres formes émergentes, en un monde extraterrestre où d’intenses -presque pures-
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