Page 84 - catalogue 2017
P. 84

Performances 2. Musée des Augustins


Joana FERREIRA, Toucher (Fr.)

L’arrivée au musée des AUGUSTINS fut sublime, tant l’architecture
et l’atmosphère particulières de ce lieu d’histoire, les toiles et les
sculptures composaient un cadre heureux pour la performance.
Une jeune femme, yeux et cheveux sombres contrastant avec la
pâleur de son corps ivoire, y entra. Allure délicate et regard vif,
presque nue, dans ses sous-vêtements couleur chair: une seconde
peau cachant le plus intime alors qu’aucune provocation n’en
émanait mais seulement de la « DOUCEUR »... ce que reconnut
l’une des personnes qui répondit à l’invitation d’écrire sur ce corps.
Joanna Ferreira semblait s’être échappée d’une des toiles exposées
répondant à une contemplation, elle ajoutait une dimension au hors
du temps fgé des statues, cependant tendant un feutre, elle proposa à chacun d’écrire sur son corps ce qui
le touchait afn de composer un poème. A la fois maître, toile modèle, à la fois passive et active, elle devenait
œuvre qui se transforme avec les rencontres et interférences... J’y lus un questionnement de notre relation à notre
enveloppe charnelle, de ce rapport à l’identité, à ce corps qui véhicule et traîne de lourds clichés mais aussi de
belles promesses de rêveries, de désir, de créations et de transmissions.
Les mots s’ajoutant, sur sa tête, je lis « le visage des femmes » peut-être une réponse à sa quête par le regard
des autres ; d’autres mots signalaient ce qu’à travers elle, comme miroir qui appelle à réféchir, le public / acteur
transférait comme constatations, opinions, souhaits, frustrations. Elle devenait la source et le médium d’une réfexion
poétique, philosophique, sociologique et artistique mais aussi lieu de préjugés. Elle devenait porteuse de la trace
nôtre, ainsi se jouait le jeu du « je », du « nous », du « elle » et du « elles » parmi des tableaux de «Cléopâtre» et
autres fgures féminines du temps passé, alors que certains écrivaient leur reconnaissance d’elle comme l’emblème
de toutes les femmes.

Quant à moi, j’y ressentis en outre, une exquise synchronicité avec plusieurs de mes photos programmées pour
le refait photographique de l’Enseigne de Gersaint*, photos d’un de mes chapitres « touchée coulée », dévoué au
travail sur le corps et la vision du corps à travers l’image et le texte poétique d’une « déclaration silencieuse »,
métaphore d’une résilience et des symptômes d’un corps touché, jugé, désiré, étoufé, rejeté enfn libéré. Au long
de ce parcours, j’avais moi-même peint et écrit sur des bustes de femmes et des mannequins, ainsi cette nocturne
au musée de Traverse Vidéo m’ofrait-elle l’opportunité d’écrire sur un vrai corps, en participant à cette action qui
m’émut de multiples manières. Nous ne nous connaissions pas, Joana et moi, mais par cette traversée artistique,
nos préoccupations se sont fait écho. Merci pour ce moment qui s’est gravé dans ma mémoire.
Très enthousiaste de partager avec elle, je ne pus m’empêcher de lui demander son autorisation pour tracer
une afrmation libératrice pour moi, à la lisière de son décolleté et en lettres capitales : « LA FEMME N’EST PAS
L’ORIGINE DU MAL ».... fdèle à mon cheminement artistique et à mon combat dans ma vie de femme. Dans cet
ancien couvent des Augustins, la portée de la formule s’amplifa.
Aussitôt, un homme, assez fort, d’un ton assez méprisant critiqua ma formule sous prétexte que j’écrivais « un
roman pff ». Joana n’intervenait pas même quand une autre personne a noté son numéro de téléphone, peut- être
était-ce lui... ou cet autre qui lui ft une grande moustache à la manière de Dalí ou de Marcel Duchamp ; Joana
avait demandé de marquer ce qui nous touchait : Comment interpréter cette attribution de pilosité traditionnellement
attribuée aux « hommes » ; fallait-il aller vers Magdalena Frida Carmen Kahlo Calderón... ou n’était-ce que facilité
comme lorsqu’on gribouille une photo d’un magazine pour s’amuser ? D’autres termes interrogeaient diféremment
comme « ÉGALITÉ », mot parfois vidé de son sens mais réanimé inscrit sur son bras.
Certaines associations ouvraient des regards sur les préoccupations actuelles, comme « MIGRANTS » parmi les
mots qui engagent. Les interventions scripturales telles des tiroirs à émotions invitaient encore au débat ou au désir;
ce qui se précisait vers le bas du corps, ainsi telle femme mûre marqua sur les fesses « L’OBJET DU DÉSIR » telle
jeune femme traça des fèches formant le champ lexical de « L’ARGENT». Et se glissa aussi le conditionnement par
les clips, les pubs et les flms qui déversent le mot « BITCH » dans une banalisation afigeante ou accusant la
femme de n’être qu’amuse bouche : « TAPAS »... Le corps devenait mur porteurs d’expression avec des trouvailles
mais aussi de l’agressivité...
Choquée, je demandais encore de dessiner un petit ANGE empli d’amour sur une de ses jambes en signe de
respect, d’autant que je dus me mettre genou à terre, dos courbé et tête baissée devant elle qui inspirait à la fois
force et fragilité...




82
   79   80   81   82   83   84   85   86   87   88   89