Page 87 - catalogue 2017
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5. Prép’Art Performances



couleurs ancestrales dominent dans l’apogée d’intensité émotionnelle, marquée par une progression hiératique
presque statique, changeant lentement les bas-côtés / les coulisses. Vers la coda, le disque s’amplife, refétant
la musique à l’intensité crescendo dans la cadence fnale, une radiante et péremptoire afrmation de la note – mais
pas de l’accord - sur laquelle tout a commencé… ».

La Toccata d’Andréa Grégori allie cette musique en prélude à la projection des Ombres Errantes, elle-même liée à
la musique de Rameau, projetée en très grand format sur le mur et dont la vision réclame de drôles de lunettes avec
bouton pour qu’elle vive en 3D. Le clavecin italien à un clavier avec flet or ornant le bois naturel outre sa table
décorée - heureusement venu du Conservatoire de Toulouse - invite lui aussi le baroque. Sur ses touches courent
les mains de l’artiste dans la pénombre nécessaires à la vidéo et sans lesquelles aucune ombre n’errerait.
D.S



Alexander SCHELLOW et Jean-Marc MONTERA, OHNE TITEL (LIVE) (All. / Fr.)
Un « sans titre » glosé comme se faisant : (live). La performance prend
les allures de titre d’un tableau, d’une photo, parce que refusant de se
fger en un sens unique, elle réclame le refaire à chaque fois, en une
espèce d’espoir de faire aussi rejaillir la vivacité de celle qui origine le
propos. Une vieille dame qu’a rencontrée l’artiste dans une clinique
spécialisée pour la maladie d’Alzheimer. Outre son très grand âge,
96 ans, qui gênait son élocution, elle ne maîtrisait plus ses souvenirs
ni la direction de sa pensée alors que le désir de communiquer avec
elle, a provoqué ce projet artistique.

Alexander Schellow trace son image sous les accents toniques
de guitare préparée de Jean-Marc Montera. Il fait de mémoire ce
portrait souriant en conjuration du temps et de l’oubli. Assis à une
table de dessinateur peu habituelle en terrain performatif, table
de verre propice aux dessins d’animation, il pointe sa mine noire
changeant lui-même son tempo ; tantôt en haut, tantôt plusieurs
marques à la suite plus bas, puis retour autour du premier, puis, puis;
le visage vient de ses points et il vient aussi sur l’écran, face aux
spectateurs assis à même le sol, à l’invitation des sonorités rock
parfois, expérimentales toujours et en contrepoint productif d’avec
cette composition iconique. Expérimentale jusqu’à son processus
de laboratoire, la pensée de l’image se fait dans l’action musicale.
Le temps réel est celui de cette improvisation menée de pieds et de mains de maître : tout le corps de Jean-Marc
Montera est susceptible de jouer et il en joue. Il sait tout le registre des cordes amplifées, il sait les ressources des
machines, il sait la résonance, la percussion, la distorsion. La guitare est malmenée, grattée au sol ou plus aimablement
pincée. Elle sursaute ou plane moins souvent. Son fl électrique se tend ou se mêle, il détourne la ligne première
débutée, il bifurque. Simultanément, la main qui dessine, à la fois, poursuit son désir de portraiturer celle à laquelle il
voulait parler et son désir de se laisser emporter par la musique sans cependant jamais perdre sa propre direction. Le
dessin se poursuit en rond et en bosse.
Si le départ évoqué de l’impossibilité de communiquer avec cette femme a d’abord provoqué l’image, le duo d’abord
improbable de cette musique-là / cette image-là communique sans besoin de mots dire. Cela pourrait durer la nuit
durant, cela dura une quarantaine de minutes pour d’innombrables points, le sourire recomposé de la dame, une
animation au sens littéral et fguré du terme.
Si on se souvient que le musicien fut à l’origine du GRIM - Groupe de Recherche et d’Improvisation Musicales - dès
1978 et qu’il s’associe, en 1999, avec Hubert Colas, pour fonder à Marseille, Montevideo, un lieu de résidence désireux
de créer des passerelles entre musique et théâtre contemporains, un lieu dédié aux écritures contemporaines, on
comprend que sa rage à faire musique, sa force à provoquer des sons eux-mêmes provocateurs de mouvements -
dessins se fonde sur la compréhension totale de l’intermédialité. Ensemble, Alexander Schellow et Jean-Marc Montera
composent mais jamais la musique aussi rythmée soit-elle n’eface le dessin pointilliste, jamais l’iconicité référentielle
n’endigue la musique ; elles sont deux ensemble, ils sont ensemble deux.
Simone Dompeyre
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