Page 89 - catalogue 2017
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7. Chapelle des Carmélites Performances


Chiara MULAS, Le Château Intérieur (Tlse)

« Ce sont des désirs de Dieu si vifs et délicats, qu’ils sont au-dessus de toute
expression. Et comme l’âme voit dans son corps une chaîne qui l’empêche de
jouir de Dieu au gré de ses désirs, elle conçoit une horreur extrême pour ce
misérable corps. ...ces transports si grands se terminent presque toujours par
un ravissement où Dieu, inondant l’âme de délices, la console et l’encourage
à vivre pour lui. » Lettre de Sainte-Thérèse au Père Rodrigue Alvarez de la
compagnie de Jésus relation 4.1575
Une femme, le buste nu dépasse d’un cône constitué d’une
juxtaposition de photos noir et blanc du visage de la statue du
Bernin de Sainte Thérèse d’Avila prise dans l’extase mystique. Le
cône s’élève d’à peu près trois mètres de hauteur : la femme aux
seins nus qui s’en détache de tout son buste a le visage masqué
par le même portrait-photo mais cette fois, en couleur et découpé
de telle sorte qu’il déborde largement ce visage qu’il vient cacher.
Ce buste et ces seins nus, volontairement provoquants par leur
séduction sexuelle, dénoncent déjà la ferveur de chants a capella,
apparemment de carmel, qui accompagnent à fort volume ce
début de performance.

Comme ceux d’une marionnette de chair, les bras tiennent
le masque plaqué sur le visage pendant que la tête dodeline
lentement, de gauche à droite, annonçant en dérision la dévoration
qui suit : celle, lente - et sans doute pénible - du masque-portrait
de Sainte-Thérèse que l’on voit se plisser, se froisser puis être
aspiré jusqu’à l’ingestion complète dans la bouche pour être enfn
rejeté en boulette, révélant le visage, celui d’une femme en nattes,
les cheveux ceints d’une couronne de roses. La femme s’enfonce dans le cône, s’immerge dans la nappe des
photos de Thérèse qui constitue l’enveloppe du cône puis vient au devant du public brandissant comme un drap ou
une nappe, cette enveloppe pour soudain la déposer au sol, révélant le corps entier cette fois : celui d’une femme
en séduction, nue (en fait en collant), nue sur ses talons dorés.

Cette descente dans le cône et sa réapparition en femme exposant
sa nudité forme t-il un rébus vivant : une fois le visage, le masque de
l’implorée disparu, mâché, elle - Thérèse - descend de sa légende
de vierge extatique, pour réapparaître dans sa vérité de femme
sensuelle, sexuelle, pour faire fondre la glace de la frigidité ?
Car de la glace est présente au sens propre : la femme prend un
moule en plastique rouge qui pourrait ressembler à la façade d’une
église, contenant un bloc congelé. Ce bloc de glace, elle l’exhibe
face au public, qu’elle parcourt lentement, en demi cercle, en même
temps qu’elle exhibe son corps.
Et est aussi présente, au sens propre, la fonte active de la glace: la
femme enlève ses talons, dépose le bloc de glace dans une grande vasque métallique en forme de bénitier et se
saisit de deux chalumeaux.
La musique omniprésente nous rappelle d’où l’on vient, que nous sommes toujours dans l’horizon de Thérèse et de
l’imploration du Carmel.
Durant de longues minutes, indiférente au public et au froid, la femme s’applique à faire fondre la glace à l’aide des
deux chalumeaux. Puis, avec la même application, les éteint, les range de côté et se saisit du bénitier-vasque. Il
paraît immense, très grand, trop grand presque, masque son visage, mais le portant néanmoins à sa bouche, bras,
elle commence à en ingurgiter l’eau. Est-ce la métaphore de l’eau bénite, de l’eau sainte ? En tout cas, avec la même
logique de dérision, la femme-Chiara recrache en gerbe de postillons l’eau ingurgitée, dans un geste plusieurs fois
répété.

Puis, prenant, une à une, les roses qui ceignaient sa tête, elle les rassemble à nouveau en bouquet pour en faire un
instrument de percussion. Car elle se bat, elle tourne autour du public, elle se bat la poitrine avec ce bouquet. Mais
ce corps qui se bat ainsi la poitrine n’est plus celui de la séduction : il est celui celui d’un corps solide, bien campé
sur ses pieds, celui d’un corps revendicatif, car si se frapper la poitrine dans la Bible est signe de contrition, ici, le
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