Page 90 - catalogue 2017
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Performances 7. Chapelle des Carmélites



même geste paraît plutôt celui de la démonstration, démonstration du « c’en est fni de », c’en est fni de la femme
soumise, éplorée. C’est celui d’une femme qui se défait du stéréotype de la femme en séduction et reprend sa
liberté et celle de son corps, en désagrégeant sous les coups, le symbole même de féminité : la rose comme calice.

A moins que ce ne soit aussi, malgré tout, celui de sa propre fagellation, celui d’une Thérèse qui voudrait se punir
pour y avoir cru : avoir cru à cette légende de l’extase, du ravissement en Dieu. En tout cas ce bouquet, elle le
fracasse, elle le disperse en pétales qui viennent se déposer sur toute la surface du drap-nappe des photos du
portrait de Thérèse en extase. Comme s’il s’agissait de dénoncer en pétales de roses, le contenu secret de l’extase,
le calice de la jouissance, celui qu’avait exposé Lacan : « ... Sainte Thérèse - vous n’avez qu’à aller regarder à Rome
la statue du Bernin pour comprendre tout de suite qu’elle jouit, ça ne fait pas de doute. Et de quoi jouit-elle ? Il est
clair que le témoignage essentiel des mystiques, c’est justement de dire qu’ils l’éprouvent, mais qu’ils n’en savent
rien. » Jacques Lacan, Dieu et la jouissance de la femme, 20 février 1973.
Puis Chiara Mulas s’en va avec un lampe torche, traversant le public, sans doute nous ayant « éclairés » :
au moins aurons-nous compris que Thérèse, dans ses transports mystiques, a dû être aussi, déjà, une grande
performeuse.

Pierre Dompeyre


Jisoo YOO, Make over (Corée du Sud)

Make over : c’est aussi la rénovation ; à la Chapelle des Carmélites,
Jisoo s’attaque dans la même fausse tranquillité, à un autre tabou*:
le système pileux ; quand ce ne sont pas les cheveux qu’il faut
cacher.
« L’épilation n’est pas une afaire de choix personnel, aussi intime
qu’il puisse paraître. Ce choix est en réalité loin d’être libre. On
s’épile toutes les parties du corps, des plus visibles jusqu’aux plus
intimes, en utilisant des pinces à épiler, des rasoirs, des bandes de
cire, des crème dépilatoire, des rayons X, des épilations électriques,
des épilations laser à lumière pulsée. Autant de violences faites à
mon corps. Ici, je me remets mes poils. Je deviens de plus en plus
poilue. Une vraie jouissance. »
L’épilation comme norme n’est pas éloignée de l’obligation de
l’apprentissage de la couture ; Anne Monjaret rassemble l’option
de l’épingle rendue obligatoire dans le passage à l’âge adulte
voire lors des première règles, avec celle du bonnet que les jeunes
flles à marier devaient porter et qu’elles maintenaient avec des
… épingles… à cheveux. Lors des noces, « l’épingle n’est pas
seulement un accessoire de parure, elle est surtout un outil de
remise en ordre matérielle – elle est celle qui retient les cheveux et/
ou qui fxe la coife – et symbolique – elle rappelle aux jeunes flles
les codes de bienséance. »*
Jisoo Yoo assise sans changer de place durant deux heures au moins, brode des poils sur son collant. D’emblée la
toufe pubienne exagère sa toison. D’emblée le projet est assumé.
Frêle, mince, corps élégant, Jisoo Yoo refuse qu’on oblige la femme à efacer ce que l’on prône – ou du moins
que l’on accepte sans question pour l’homme. Le poil comme signe du masculin voire de sauvagerie n’est-il pas
scrupuleusement efacé des photographies et pas seulement de mode, une reine de beauté n’arbore-t-elle pas
au-delà de mensurations calculées, de longues jambes, du sourire fabriqué, une peau lisse.
La broderie marqueur de classe sociale - ce sont les jeunes bourgeoises qui la pratiquaient et non les jeunes flles
du peuple - avec un humour ténu et iconoclaste eu égard au lieu de sa pratique, devient rappel de la complexité des
femmes dont le corps existe, toujours héritier de Lucy de la vallée d’Omo.

Simone Dompeyre
* CF Jisoo YOO, Les marionnettes, p. 90
© image Gabriella Benkő

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