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Installations  Chapelle des Carmélites

hommes et femmes, sans question d’âge ni de situations, à pleurer devant son œil
et son objectif. Il cueille de l’eau salée, très loin de la démarche de Rose Lynn Fisher
qui photographie au microscope la structure cristalline des larmes, en y découvrant
des paysages.

Très loin car le portrait en gros plan sature le champ voire l’excède. Pas d’indices de
lieu, un non lieu autre que celui de cette « expérience » au sens premier pour celui qui est filmé.
Sans violence, François Talairach n’arrache pas les pleurs, il les attend. Les pleureurs
sont volontaires, pas si nombreux… et l’on en reviendrait à l’autorisation, à la
normalisation sociale du pleur.
Le film réalisé se cantonne à la succession de cette action/non-action. Le temps est celui
nécessaire et différent pour chacun de ces humains, sans commentaire, sans indices.
Des pleurs « vrais », tel comédien sûr du « paradoxe du comédien » et de pouvoir
pleurer sur commande, n’y parvint pas.
L’œuvre dépasse le discours psychologisant, moral. Pas d’explication, pas de
paroles : le fait.

Le dispositif : un cube strict dont la face, 2 mètres sur 2 mètres, expose au sens
littéral les visages. Il provoque un effet de hors cadre par le regard adressé mais la
taille dépasse le duo, l’émotion n’est pas quêtée. Elle advient ou pas. Plus le titre se
fait mode d’emploi : sans déterminant, il dit le matériau, à chacun de le dépasser et
de se laisser prendre en émotion.

L’humanité est.
Quand l’autre est en pleurs, il nous arrête, nous met nous-mêmes en question.
Quand cet autre dans son altérité silencieuse des yeux en larmes, est en pleurs silencieux,
il se fait question, refermé à toute consolation : empathie et désarroi de l’empathie.
Quand cela se fait dans la simplicité de l’installation en cube et du plan visuel carré,
cela s’impose comme moment plein.
S’écouterait alors le premier oratorio de Cavalieri, lui dont le titre Rappresentazione
di Anima e di Corpo rassemble avec ce terme, « représentation », dès 1600, le projet
de faire voir, de placer là, en scène – l’espace était religieux, celui des Philippins de
Rome, au projet de communiquer les sentiments afin de les faire partager, ce qui
donnait le droit à l’émotion.
Aux Carmélites, l’émotion était aussi subjugation heureuse.

L’artiste dit : « C’est depuis ce plan vacant en attente d’image, que s’ouvre la possibilité
de mouvements/émotion, emovere : mettre en mouvement, mouvement hors de soi ;
plan miroir, plan larmes – dialogue de soi à autrui. »

Pour des photographies du même artiste, exposées aux Rencontres, cf. p. 231.

                                                                           Simone Dompeyre

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