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Chapelle des Carmélites  Installations

Ruzan Petrosyan, Never Let Me Go

7min30 | Arménie

L’impératif du titre assorti de la notion du temps « never let me go » suggère un espoir,
une attente dans sa connotation de douleur sourde, de regret sous-jacent. « Ne me
laissez pas partir ».

La chanson arménienne – le pays d’origine de
Ruzan Petrosyan – aux tonalités traditionnelles
réanimées et en volume moyen, comme
entendue de loin ou en mémoire, se fait sur
le fond des bruits topiques du train avec
le sonal de la SNCF mais aussi d’autres
sociétés ferroviaires puisque d’autres langues
sont audibles, et comme le générique les
dénomment. Le filage des paysages entrevus dans le passage du train et le plan
récurrent bleuté d’une jeune femme, engoncée dans son fauteuil – s’y reconnaît le
visage de l’artiste – attestent de la non réalisation du vœu. Le filage exprime la vitesse
en estompant les contours du monde traversé, image de cette oscillation entre les
deux pôles du projet partir et rester. Les couleurs participent à cet état d’émotion,
entre la clarté et le soleil traversant la vitre en un éclat et la semi-pénombre du wagon.

Le voyage n’est pas le lieu de la découverte à venir, même si des plans plus précis
mais dont l’angle choisit les pieds avançant sur les pavés et le bitume, suggèrent la/les
villes d’arrivée ou du moins de passage. Outre les vélos, les chiens et les passants
en in, les cloches en off, dont une adopte l’Ave Maria, localisent en synecdoque les
villes occidentales.

Moins dans le présent, récurrents, en une litanie diffuse, selon la surimpression du
plan rapproché poitrine repris pour chacun, des jeunes hommes et jeunes femmes
scandent le voyage, le passage. Bras croisés, en plans frontaux ; ce sont les visages
de ceux qui ont dû partir ou qui auraient dû retenir, elle qui est partie. Attentifs,
ils font face.

D’autres souvenirs se précisent et très significativement, la scène heureuse
ensoleillée, type film de famille, quand se lave la voiture, savonnée, quand se rince
le bord de la pièce d’eau avec carrelage et que l’enfant nu censé y projeter l’eau du
tuyau d’arrosage, y boit à même le jet d’eau. Ou en surimpression et noir et blanc,
parfois effiloché, parfois plus net, en diverse échelle du plan jusqu’au très gros plan
qui le fragmente, le visage d’une jeune femme souriant puis riant à gorge déployée.
Inversement des cris percent le voyage, en une aiguille plus douloureuse qui a induit

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