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Projections Cinéma ABC
Le titre énigmatique Plants are like people par sa
forme de sophisme « plante le décor » de cette
vidéo de Charlotte Clermont, d’une minute
trente-quatre secondes. En noir et blanc, du type
intrusif spécifique aux caméras de surveillance,
les plans fixes au cadrage proche, en 4/3, se
succèdent de façon accélérée. La bande-son,
née d’une collaboration avec la musicienne
expérimentale Émilie Payeur, risque des hautes
fréquences aiguës et stridentes à la limite du
supportable pour nos oreilles humanoïdes. Scandée par une vingtaine de phrases,
quasi subliminales tant elles sont rapides, s’avèrent énigmatiques, comme autant de
brefs chapitres suivis de tableaux aux thèmes récurrents méticuleusement organisés.
Le montage haché, fracturé, au rapport souvent conflictuel entre images et textes
se rapproche du cut-up de William Burroughs, d’autant que l’un des intertitres
« psychedelic experience/expérience psychédélique » pourrait en être une référence.
Dans une atmosphère lourde d’enfermement par le format et l’immobilité de
l’objectif, les différents plans défilent à un rythme saccadé, se chevauchant, se
répondant ou s’opposant. Ils entrent, sortent du champ, se livrent un duel sans
merci entre l’intime et l’« extime », ainsi qualifié par la réalisatrice.
En incipit un écran noir porté par la bande-son devance la phrase « I am going to close
it now/Je vais l’arrêter maintenant » imposant non seulement l’état d’urgence d’une
temporalité prête à se terminer mais induisant une notion d’emprise, de contrôle
dont l’origine ne serait pas indiquée. Le plan suivant décrit les mains d’une jeune
femme au visage hors champ. Elle déplie de sa main droite, un doigt puis deux,
en forme de V, écho du dessin du papier peint au motif simplifié d’une plante.
Puis le syntagme « next alarming ones » amorce une rangée de deux cuillères et de
deux fourchettes sur une nappe du même motif que le papier peint et que la main
retourne de façon aléatoire. Suivant ce même schéma, chaque scène est précédée
d’une phrase-titre : « Different perspectives/Différentes perspectives », « Situation/
Situation », « The other side of it/L’autre côté de cela », « Unexpected connections/
Relations inattendues », etc.
Le regard de la jeune femme n’est pas direct et souvent de biais comme quand on
se sent observé à moins que cela vienne d’une prise selfie, en un jeu de cache-cache
entre elle et son propre objectif. Rien ne le confirme alors qu’elle se conduit comme
prise en otage, envoyant des messages codés formant de ses doigts successivement les
chiffres 2, 4 ou encore 8. Auxquels plans rectilignes d’un vide quasi mathématique
s’opposent des plans de plantes et de fleurs, envahissant, quant à eux, le champ
voire le débordant en privilégiant la rondeur, la luxuriance, la richesse voluptueuse.
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