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Performances Prép’art
réponse se fait à ce point insistante qu’un/e parmi ces autres ose franchir les regards
et s’engager dans l’action performée ?
crédit photo : Anne Murray Il ne s’agit pas, semble-t-il, dans son travail d’appeler à une
performance collective ni non plus de faire monter une personne
sur la non-scène. Ce qui, par exemple, était attendu dans l’acte II
était de surprendre ce moment où un/e parmi les spectateurs/
trices serait venu/e au devant d’elle avec des cheveux à la
main. Qu’il, qu’elle soit allé/e jusqu’à interagir en participant
à la couture n’était pas ce qui était recherché mais provoquer le
basculement d’une réponse, et, en le provoquant, d’en donner à
voir le mystère. Simultanément cela achevait la performance en
lui donnant sa pleine dimension d’acte in situ.
C’est donc ce moment de basculement dans l’engagement d’une
action partagée, qu’elle soit de parole ou action physique, que
Cindy cherche à porter au regard des autres spectateurs alentour.
Il ne s’agit pas de l’analyser comme une caméra qui en découperait le mouvement
mais de le faire paraître dans sa dynamique même de basculement.
Et faire ainsi effet artistique par l’imprévisibilité du surgissement.
On peut ainsi comprendre le sens du titre : On ne peut que déplorer l’importance de Kant.
Quand on pose que l’art n’explique pas mais fait voir, il faut prendre ce « faire
voir » au double sens d’un faire qui non seulement souligne ce qu’on ne savait pas
percevoir mais au sens aussi de faire, créer ce voir lui-même en créant l’espace de
vision où il pourra s’exercer.
Si on en reste à une interprétation de l’esthétique de Kant comme une esthétique de
la contemplation (celle d’un spectateur figé devant l’œuvre dans son appréciation :
« Le goût est la faculté de juger d’un objet ou d’un mode de représentation sans
aucun intérêt, par une satisfaction ou une insatisfaction. On appelle beau l’objet
d’une telle satisfaction… Le jugement de goût est seulement contemplatif »,
Esthetique, §5), alors le titre de cette performance a raison d’énoncer qu’il faut
déplorer l’importance de Kant car c’est aussi faire art comme le fait Cindy Cordt
que de sortir du tableau pour venir chercher l’engagement de celui ou celle qui le
regarde.
Cependant si on reconnaît à l’art une forme d’objectivité qui n’est soutenue par
aucun concept, aucune explication universellement partagée, comme lorsque Kant
énonce qu’« Est beau ce qui plaît universellement sans concept », qui permet de
ne pas confondre une performance-art avec ce qui peut se présenter sous la même
forme, que ce soit par exemple une prédication de rue ou une démonstration de
hip-hop, alors au contraire on ne peut qu’insister sur l’importance de Kant.
158 Pierre Dompeyre