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isdaT Projections
confondent les ombres projetées avec la réalité à laquelle ils n’ont pas accès. Cette
« allégorie » des hommes qui ne perçoivent que l’ombre du réel, puisqu’« étant
enchaînés, ils sont hors d’état de tourner la tête. Une lumière leur est cependant
accordée : elle vient d’un feu qui brûle au loin, derrière eux et au-dessus d’eux. »
Ainsi la sortie de la caverne vers la lumière est-elle une conquête, l’entrée dans un
autre monde, de l’ordre du vrai.
Cependant dans la lumière, l’homme apprend à reconnaître les objets éclairés, leurs
ombres dues au soleil, puis les reflets mouvants des choses sur l’eau, effets de miroir
qu’il distingue des choses elles-mêmes « dans leur forme authentique ».
L’artiste relie cette observation de la réalité, notre perception, aux mouvements
des corps astraux, qui créent des ombres et des changements dans la lumière et les
ténèbres, ce qu’elle continue à répercuter sur notre conscience.
Les ombres dansantes de la vidéo se feraient l’écho des recherches astronomiques et
notamment de la sphère armillaire, ce qui joint la Grèce et la science, puisque cet
instrument y a été utilisé dès le iie siècle avant notre ère. Cet instrument modélise la
sphère céleste, le mouvement apparent des étoiles, du soleil comme de l’écliptique
autour de la terre, quant à sa forme : des bracelets – armilles – emboîtés, elle répond
au projet de mouvoir des ombres, de Valentina Lacmanovic.
Cependant l’artiste nous fait suivre le dévoilement puisque le tournoiement de
formes difficilement identifiables – traits sur noir, silhouette blanche, pointillés sur
noir, stries nombreuses – qu’accélération, retour du même gênent plus encore,
avère la silhouette d’une jeune femme au centre d’un objet mobile sur lui-même
du type de manège simple pour enfants des jardins publics. Le corps y est central,
actif : l’artiste s’inclut dans le champ, elle tient la caméra et filme son ombre et ses
variations en taille, ainsi que le socle de bois sur lequel elle se tient voire l’arbre tout
près, comme solarisé ainsi que les alentours urbains.
Elle s’y accompagne des bruits de son implication et ce, dans le même protocole
de reconnaissance – jamais totale cependant – le déclic au passage répétitif, des
fragments de voix psalmodiés, chuintés mêlés aux craquements, bientôt plus nets
type aiguille d’un tourne – disques et les mots, eux aussi, disent le mouvement/nous/
toi/motion/us/you… L’initiative est rendue à l’artiste qui préfère écrire en ombres et
en fait sa lumière, déclenchant le souvenir de Moholy-Nagy et de son film de 1930,
Jeu de lumière noir-blanc-gris, exaltation des ombres portées de son Modulateur Espace-
lumière, sa sculpture cinétique provoquant des volumes virtuels en mouvements par
ses ombres portées même si l’éclair lumineux y domine, aveuglant souvent.
Simone Dompeyre
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