Comment va votre coeur?, 2024, Film, 5 min 20 (Toulouse) :
« Comment va votre cœur ?
« Tako-tsubo. Mon cœur explose
Je raille mes entrailles et je crache.
Je veux me souvenir des sillons qui se creusent à chaque fois que je respire, à chaque fois que se gonflent mes poumons. Ça trace. Ça entaille. C’est un froid qui remonte et lacère ma poitrine. D.Alliens, Les sillons de terre, 2024 »
C’est l’idée que L’art peut se rencontrer si on prend la peine de s’arrêter un peu.
Plutôt que d’explorer la piste frontale de l’œuvre artistique, je me suis mise en situation sur un chemin de forêt des Pyrénées. J’ai lu à voix haute un texte.
Soumise à l’angoisse de cet exercice en public.
Je croise sur mon chemin des randonneurs, ils parlent entre eux. Ils se connaissent mais ne me connaissent pas. Par cette lecture, je propose, si ce n’est une rencontre, du reste une interaction. Au fil de ma lecture, le comportement des randonneurs change. Ils se taisent. Écoutent-ils ce que je lis à voix haute? Sont-ils dans l’inconfort d’une situation inhabituelle? Voudraient-ils m’interrompre? Oseront-ils?
Les personnes croisées lors de cette performance ne sont jamais dans le champ, on entend leur voix.
Après dix minutes de montée et presque dix minutes de descente, j’arrête de lire le texte.
Les marcheurs reprennent leur rythme et leur comportement initiaux.
Personne ne m’a adressé la parole.
Dans ce lieu de passage, le texte ne me ramenait pas à l’art mais à ma solitude, je voulais un espace ouvert et fréquenté pour le dire.
Sur ce chemin, il y a le souffle coupé, le cœur qui s’emballe et il y a le mouvement des autres corps qui passent à côté. En lisant et en imposant ma voix, je voulais aller choquer ces mouvements qui se croisent en montée et en descente, je voulais que leur silence parle et pèse pour enfin inscrire leur presence dans mon intimité.
Je questionne ma solitude dans cet espace ouvert. Je brise les règles sociales et établies. Je rompt nos rencontres artificielles et furtives pour qu’ils prêtent attention à moi. S’interrogent, se questionnent.
En lisant à voix haute ce texte, j’inscris mon rythme, mon corps, ma présence à l’autre.
À mesure que je lis et relis, leur silence alourdit nos échanges croisés.
Comment va votre cœur ?, un espace de l’intime qui s’entrechoque à l’espace social et commun.
C’est prendre un contre-pied à l’idée que tout événement de la sphère privée doit rester caché, ne rien montrer. Lire ce texte, c’est par le prisme de la voix, de l’essoufflement du cœur, détourner le discours de l’art et en faire sien pour traduire des émotions. C’est aussi, peut-être, attendre que quelqu’un s’arrête pour prêter attention.
J’y développe une démarche artistique fondée sur la question de la résistance, j’ invoque aussi l’idée de la présence, de l’invisibilité, de la différence.
Deux rythmes s’opposent dans l’espace de la forêt, il y a une envie de faire transfuser un monde à l’autre, que l’intime qui ne se voit pas puisse être dit. Il y a urgence à regarder ce monde silencieux et secret, à prendre son temps pour l’apprécier et ne pas le juger.
L’art permet la rencontre.
Comment va votre cœur ? a un sens, le sens de celui qui veut bien entendre, regarder.
Cette vidéo a le regard de l’intime, de la fragilité sur le fil. Elle est émotionnelle. À mesure des mètres parcourus, à mesure que mon souffle se perd et mon cœur s’emballe, les mots prennent un deuxième sens, celui qui touche à l’humain. Aller à bout de souffle permet d’utiliser le texte comme médium plastique pour transmettre des idées, un état. Le texte prend une coloration autre.
Lire le texte et prendre possession de l’espace public, aller au delà de ses peurs et de ses résistances sociales et intimes, se toucher.
Après cette expérience, j’ai dessiné avec en toile de fond l’idée de Tako-tsubo. Traduire l’idée du cœur qui se transforme dans l’épreuve. J’ai dessiné des corps, j’ai repris l’idée de l’isolement, j’ai dessiné les chairs, les failles, le végétal, la transformation. Ce travail de dessin est toujours en cours. »