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Vidéos d’Ici et d’Ailleurs

                                             Nathalie JOFFRE, He told me that his garden… 9'30, 2012, France
                                             “He told me that his garden... résulte de mon exploration subjective
                                             des archives du Bethlem Royal Hospital, plus précisément d'une
                                             collection de photos des patients, prise par le photographe Henry
                                             Hering, entre 1857 et 1859. J’ai composé ma vidéo, portée par le
                                             projet d'examiner les archives non comme une accumulation fixe de
                                             matière morte, mais en les reconnaissant comme un corps vivant et
     mouvant, auquel on peut accéder et que l’on s'approprie physiquement et mentalement.”
               Ce travail de Nathalie Joffre s’inscrit entre passé et présent. Elle interroge l’inconscient et la
     mémoire sur les traces laissées par les archives photographiques, celles d’un hôpital psychiatrique de
     Londres. Durant un an, elle a étudié 106 portraits de ces patients dont 49 portent leurs initiales et sont
     accompagnés d’un diagnostic médical.
               Le champ préfère le format horizontal sans obéir au cinémascope, l’enjeu n’est pas l’espace,
     mais au contraire la proximité sensitive. En un triptyque, il distingue pour mieux les rassembler, une femme
     assise de dos, dans un espace noir et des rangées de volumes anciens en plus gros plan, qui
     l’enserrent, indiciels de sa raison d’être en ce lieu, une bibliothèque. Elle demeure immobile, son seul
     mouvement, en quasi clausule, est celui de pencher légèrement sa tête en arrière puis résolument en avant
     pour se fondre dans le noir ambiant et y disparaître accompagnée par le bruit de papiers que l’on froisse.
     Alors une bouteille vide parmi ces boules de papier jetées sur fond noir métaphorise la fin de sa
     “mission”, soutenue par le plan sonore d’un train éloigné de son départ. Le départ d’un lieu devenu cher
     pour y avoir rencontré des êtres, répond aux bruits de rue traversée pour l’atteindre.
               La vidéo, sans gestes vidéographiques excessifs, dans une lenteur respectueuse est consciente
     d’animer le passé, de redonner à quatre personnes une vie restreinte à l’iconique. Le refus d’un narratif
     autre qu’en bribes n’induit pas à croire aux revenants puisqu’il répond au désir de rendre un souffle à ceux
     qui ont souffert l’enfermement - y compris celui de soi-même par soi-même. Cela se fait aussi dans la
     raison, une raison douce. La salle d’archives n’est jamais découverte que par synecdoque, grâce aux
     pages en gros plan, révélatrices d’une identité comme celle de Sarah, alors que la graphie en plein et délié,
     en grand format avère les registres, grâce aux boîtes noires gardiennes des photographies sous cellopha-
     ne indicielles de la préciosité de ces images-là, grâce aux mains gantées qui les découvrent. Dans cet
     espace réservé à une calme manipulation, se déroule un rite affectif.
               Même les phrases explicatives du type température nécessaire à la conservation de ce patrimoi-
     ne, même les plans extérieurs, rudement documentaires, du système de ventilation dans leur duo avec des
     fragments de stèles tombales, n’en perturbent le projet.
               Quatre voix susurrent, dont l’une masculine, en accord avec les trois portraits extraits de leur
    linceul de papier, dont un double d’un père et de son fils.
               Les voix pourtant emploient le “il” de recul, elles choisissent une phrase censée emblématique
    de ces personnes-là et dont l’une donne le titre. “Il dit que son jardin a souffert du manque d’eau alors qu’il
    venait juste de l’arroser” (en anglais “watered”), titre laissant la clausule de la phrase en suspens, en
    annonce de cette atmosphère sensible. Le fils s’inquiète d’une durée, le père répond qu’il ne sait pas. Est-
    ce de la pose à tenir puisque l’instantané photographique ne se répand qu’en 1880. La matérialité
    photographique se glisse dans la démarche, ainsi l’une des deux femmes, Eliza, tourne la tête,
    captée de trois quarts visage et la voix assure qu’elle demande de ne pas être regardée. Certes, la parole
    signale la douleur, l’autre femme, à la première personne, s’inquiète d’avoir l’air d’une servante et n’a juste
    envie que de s’allonger sur le sol. Est indiquée la nécessité d’attacher les mains pour éviter l’automutila-
    tion. La litote n’efface pas la réalité, elle l’humanise.

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