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Vidéos d’Ici et d’Ailleurs
La naïveté d’une renaissance est évitée ; la non-reconstitution se cantonne à enserrer la jeune
chercheuse de traces, de deux plans de parc dont l’en en gros plan signale la dislocation de la grille
d’enfermement. Plus encore, loin de reconstituer une vie, la reconnaissance de leur “être” se fait dans le
simple contour des corps photographiés, avec un simple petit crayon. Le support - du papier calque - est
tout aussi fragile, il n’est pas la matrice d’un icone mais est jeté dans un dispositif simple de trois boîtes
recouvertes de tissu les débordant en drapés… le papier calque flotte pour très vite s’enrouler… les voix
murmurent encore - la main recueille le papier et l’égoutte légèrement, sans pression, en enlève l’eau.
Ces figures ne SONT que durant cette expérience partagée de la visite, que durant cette entente, cette
accalmie de l’écoute adoucie de l’autre, tout autre.
Simone Dompeyre
Valerio MURAT, ailo, 8'25, 2011, Italie
La nuit, devenue louve, ailo part en chasse des hommes pour les dévorer.
L’œuvre éponyme n’est pas une obéissance au film de genre et si elle
emprunte à la Finlande cette figure mythologique, c’est qu’elle a des
comportements métaphoriques de ce qui anime Valério Murat - certes pas
l’anthropophagie - mais la transformation constante des formes, le mouve-
ment constant des éléments qui s’entraînent chacun dans d’autres possi-
bles, tout en retenant leur force première. La musique électronique, le pianoforte, la voix et la vidéo ne s’y
écrasent pas et nourrissent chacun le désir de l’autre même si Valerio part souvent de la voix, en écho du
travail souterrain d’une longue amitié avec Giovanni Fontana, poète performer.
La voix féminine enregistrée sans modification numérique, se distingue nettement d’autant qu’elle ne se
module pas sur les variations musicales ou si peu avec, une légère montée d’aigu, mais les mots
s’entendent en Suomi ajoutant de l’étrangeté à la réception de cet opus.
Ainsi deux lectures se font, l’une sans chercher la traduction de la narration, se laisse prendre au
tourbillon, au refus heureux de l’image léchée et du champ iconique avec parfois quelques repères du réel
et du lieu. Elle peut reconnaître dans l’image perturbée, en surimpression, en solarisation, en négatif mêlé
au positif coloré ou noir et blanc, elle peut reconnaître Venise, ruelles pavées, petits ponts aux balustres
de pierres, places avec pigeons, gradins jusqu’à la lagune et certes les gondoles y compris avec le cou-
ple s’embrassant canoniquement - mais même si y sont entr’aperçues l’île San Giorgio en face de la
Piazza San Marco, et la longue promenade le long des quais, le son ôte la précision d’un itinéraire
touristique, l’image déchire le plan.
L’autre lecture sait l’origine, le mythe de la femme dévorante qu’ils racontent. Elle peut
comprendre les changements dans les déplacements de la femme, qui, tenant sa longue robe, court
éperdument, empruntant les passages étroits et qui, d’abord par flashes puis dans un moment suivi,
avance, galope à quatre pattes, mains au sol et pieds nus.
Cependant demeure l’interstice fondateur, car le récit est en langue étrangère, ainsi comprendre qu’il
s’agit de la femme louve, se double du non réellement, comprendre les mots…
La musique opère de même, la netteté de telle phrase se double de folles aspérités : elle porte les deux
faces de la femme-louve, elle les dit liées. Elle provoque la fureur contenue sur le fonds d’une autre
Venise, sans perturbation des touristes mais en couleurs déréalisantes.
Ce qui porte ce n’est pas la narration, ce n’est pas tant la métaphore du désir charnel que l’éros créateur
qui préfère la composition intermédiale, l’entrelacement des composants.
Simone Dompeyre
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s) 35