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Traverse projette à l’UGC
De la ville, les bords disent l’Inde par leurs gradins amenant jusqu’aux eaux sacrées du Gange,
de même que les maisons échelonnées, et le bois et la fumée de l’incinération ; le temple de guingois, lui,
désigne Vârânasî.
Se dessine en creux le portrait du vidéaste qui fonde le montage dans ce rythme indien,
paradoxal, qui lie la capacité d’attente et l’activité constante.
Le lieu premier est le fleuve dont l’ampleur est dite par l’impossibilité de voir de l’autre côté de la rive quand
le côté le plus proche n’est révélé pour son identification, que tardivement dans ces dix minutes de flottai-
son et si une seule embarcation plus que pleine de passagers, est croisée, c’est à cause de l’heure.
Les barques frêles, mais colorées comme l’Inde aime parer les objets de son quotidien, attendent accro-
chées à deux, ou avancent sous les coups de rame, qui, légers, trouent le silence de ce lever de jour.
Le rameur, qui, lui, a adopté l’anorak occidental, fait avancer la barque, la relie à une autre par une simple
ficelle, avance, emmène son passager et dépose une étrange boîte sur la seconde. La boîte s’avère
matériel de peinture avec chevalet escamotable, le passager désormais face à la ville peint.
L’homme se lie à la vi(ll)e indienne par sa création d’image, qui n’est pas incluse dans le regard vidéo de
David Varela qui passe en un travelling sur les berges, décrivant deux maisons sans murs simplement
protégées par des tissus, décrivant des personnes se plongeant dans le fleuve, décrivant du bois entassé,
puis en un de ces rares plans proches, distingue deux femmes et deux jeunes garçons, aux pieds desquels
un corps caché sous un simple voile. La fumée dit le rite mortuaire.
L’Inde fait de la mort sa quotidienne, elle se baigne où elle jette les cendres de ses morts… eau qu’elle
traverse. Très, très loin des canons de découverte à usage touristique, l’amour de ce pays, calmement se
glisse. Et il se transmet dans cette lenteur loin des tumultes du monde, y compris du tumulte indien.
Simone Dompeyre
Cristina PAVESI, Still alive 1 et 2, 2', 2012, Italie
Une nature morte qui ne le sera jamais parce que vibrante sur la minute
vidéo qui invite à la revoir, encore et encore.
Des roses blanches, beiges, roses, noires… ouvertes comme des renoncu-
les, ou plus ou moins épanouies presqu’à la tombée des pétales qui, jamais,
ne s’opère. Ces fleurs occupent le champ sur un fond noir qui efface tout
projet ornemental alors que l’espace est porté par la musique tout aussi
frissonnante de Khryzaliis, au nom fort adéquat, puisque l’état d’insecte en formation ne réclame que de
s’ouvrir pour sa vie éphémère.
En un plan fort équilibré, des grappes de raisin offrent un noir profond posé sur le vert en contraste des
feuilles vertes et d’une ou deux vrilles… simplicité absolue, mais une ombre-travelling obscurcit l’ensem-
ble jusqu’à le faire disparaître et le faire réapparaître. Le passage retrouve les raisins dans sa lumière.
Ainsi des fleurs éphémères, une partition minimaliste, un seul plan fixe mais que de mouvements,
que de connotations pour la fleur amoureuse… ainsi un raisin plus robuste qui passe de la brillance à
l’invisibilité selon la lumière.
Les deux tableaux vidéographiques forcent à oublier le syntagme italien qui traduirait “still life” : oggetti di
ferma / objets sans mouvement et à rappeler que si still peut se lire comme calme, il le peut aussi comme
“encore/ toujours”.
Au-delà de la Vanitas vanitatis de L’Ecclésiaste qui assène à l’homme qu’il est mortel et qu’il ne lui faut pas
“s’attacher à ce qui passe si vite et (de) ne pas se hâter vers les joies de ce qui ne finit point”, pourquoi ne
pas revenir à cette autre assertion du même livre : “L’œil n’est pas rassasié de ce qu’il voit ni l’oreille
remplie de ce qu’elle entend”, ce qui peut se comprendre comme un appel à voir et à voir encore.
Simone Dompeyre
Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s) 41