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Traverse continue...
L'auteur a choisi son camp, celui de ceux qui se débattent avec leurs souvenirs pour expliquer en quoi la
vie leur est autre et les sépare à jamais de l'autre. Il ne trompe personne en montrant le modèle du saut
qu'il eût voulu faire. La vie de garçon qu'il aurait pu mener. Il ne sera jamais l'un d'eux mais combien de
regrets et comment faire lorsqu'on est coupé en deux ?
C-L / Uccassaim-Goa / Février 2013
Hermes Intermedia, [meine heimat], 4'30, 2012, Italie
Ce film a répondu à l’appel du Festival ZEBRA Poésie Film, en prenant pour
source, le poème [meine Heimat] d’Ulrike Almut Sandig, mais il reste
éminemment la marque de ses auteurs Valerio Murat et Antonio Poce,
préoccupés de l’entente des arts et de leur impossible écrasement l’un par
l’autre. Non seulement il fait entendre la musique des mots mais sous-titre
une traduction en anglais que je risque en français.
“ j'ai oublié le nom des grands oiseaux.
chaque juin une couvée tombe du faîte d’une grange, qui maintenant reste vide.
plus tard dans l'année, ils se tiennent raides sur les champs,
depuis la rue, les manteaux blanc caillé, depuis une distance, des odeurs de bouquets peu cher + acier +
biens
touché par la tempête l’autre jour: mon chez moi / Heimat .
dans la maison des mots brisent l’arête du sol
en un mot: ce qui est soulevé là, m'est étranger.”
Cet Heimat ne se résout pas en un lieu, mais rassemble, en strates confondues, le pays de la
naissance, le village de l’enfance et en lui, la maison familiale comme celle où on se reconnaît chez soi.
Son éloignement provoque le mal du pays, à tel point que la langue allemande lui opposait le mot “Elend”
qui désigne la misère, mais aussi l’étranger.
Cette élégie, réitérée en voix comme en écriture, pourtant se plaint de ne plus trouver cette atmosphère du
familier dans son propre lieu. La terre maternelle n’est plus la terre maternelle.
Le poème est entendu de la voix même de la jeune poétesse et dans sa langue, mais le lieu où
court un homme n’est pas l’Allemagne, ni ne compte de route, de champ ou de grange, mais la mer et le
sable de la plage. Pas plus qu’il ne copierait des gestes de l’origine du pays à moins de reconnaître un
pays cinéma d’avant-garde, selon le refus d’une limite géométrique du champ qui préfère le halo ; selon la
forme du porte-voix typique de l’avant garde française des années 20 avec son feston de fer, selon le
comportement de cet homme en peignoir de soie et gilet à motif cachemire et l’écharpe frangée. Cet
homme s’évertue à entendre et à voir avec le pavillon d’un électrophone qu’il reconstitue, ou le porte-voix,
tous objets échoués. Il ne suggère aucun recul par rapport à ce qu’il vit, il ne signale pas comme la
poétesse ne plus ressentir le “chez moi”.
Le poème est écrit en calligraphie, en pleins et déliés, en couleurs distinctes, en taille différen-
tielle… en lancers de mots. La marque d’Antonio Poce qui se plaît aussi à être cet homme en quête de son
et d’image. Le poème, emporté par la dérivation modale de la partition de Claudio Scannavini, en adopte
le schème répétitif. Il déborde le signifié et, ainsi, en disant l’éloignement de l’Heimat, il en construit un autre
que l’on porte en soi, celui de l’amour de la langue poétique.
Les parenthèses ajoutées au titre originel le transportent ainsi en terre d’intermédialité, le
laboratoire d’art contemporain Hermes Intermédia. Cette maison sous l’égide d’Hermès, le dieu porté par
le désir de la parole à conquérir, et contre la classification apollinienne des muses chacune dévouée à un
art ; ce dieu qui préfère les paroles d’oracle, de divination, ces voix portées par le chant, et le mouvement...
Simone Dompeyre
62 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Histoire(s)