Page 62 - catalogue_2013
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Traverse continue...

     L'auteur a choisi son camp, celui de ceux qui se débattent avec leurs souvenirs pour expliquer en quoi la
     vie leur est autre et les sépare à jamais de l'autre. Il ne trompe personne en montrant le modèle du saut
     qu'il eût voulu faire. La vie de garçon qu'il aurait pu mener. Il ne sera jamais l'un d'eux mais combien de
     regrets et comment faire lorsqu'on est coupé en deux ?

                                                                                  C-L / Uccassaim-Goa / Février 2013

                                       Hermes Intermedia, [meine heimat], 4'30, 2012, Italie
                                       Ce film a répondu à l’appel du Festival ZEBRA Poésie Film, en prenant pour
                                       source, le poème [meine Heimat] d’Ulrike Almut Sandig, mais il reste
                                       éminemment la marque de ses auteurs Valerio Murat et Antonio Poce,
                                       préoccupés de l’entente des arts et de leur impossible écrasement l’un par
                                       l’autre. Non seulement il fait entendre la musique des mots mais sous-titre
                                       une traduction en anglais que je risque en français.
     “ j'ai oublié le nom des grands oiseaux.
     chaque juin une couvée tombe du faîte d’une grange, qui maintenant reste vide.
     plus tard dans l'année, ils se tiennent raides sur les champs,
     depuis la rue, les manteaux blanc caillé, depuis une distance, des odeurs de bouquets peu cher + acier +
     biens
     touché par la tempête l’autre jour: mon chez moi / Heimat .
     dans la maison des mots brisent l’arête du sol
     en un mot: ce qui est soulevé là, m'est étranger.”
                Cet Heimat ne se résout pas en un lieu, mais rassemble, en strates confondues, le pays de la
     naissance, le village de l’enfance et en lui, la maison familiale comme celle où on se reconnaît chez soi.
     Son éloignement provoque le mal du pays, à tel point que la langue allemande lui opposait le mot “Elend”
     qui désigne la misère, mais aussi l’étranger.
     Cette élégie, réitérée en voix comme en écriture, pourtant se plaint de ne plus trouver cette atmosphère du
     familier dans son propre lieu. La terre maternelle n’est plus la terre maternelle.
                Le poème est entendu de la voix même de la jeune poétesse et dans sa langue, mais le lieu où
     court un homme n’est pas l’Allemagne, ni ne compte de route, de champ ou de grange, mais la mer et le
     sable de la plage. Pas plus qu’il ne copierait des gestes de l’origine du pays à moins de reconnaître un
     pays cinéma d’avant-garde, selon le refus d’une limite géométrique du champ qui préfère le halo ; selon la
     forme du porte-voix typique de l’avant garde française des années 20 avec son feston de fer, selon le
     comportement de cet homme en peignoir de soie et gilet à motif cachemire et l’écharpe frangée. Cet
     homme s’évertue à entendre et à voir avec le pavillon d’un électrophone qu’il reconstitue, ou le porte-voix,
     tous objets échoués. Il ne suggère aucun recul par rapport à ce qu’il vit, il ne signale pas comme la
     poétesse ne plus ressentir le “chez moi”.
                Le poème est écrit en calligraphie, en pleins et déliés, en couleurs distinctes, en taille différen-
     tielle… en lancers de mots. La marque d’Antonio Poce qui se plaît aussi à être cet homme en quête de son
     et d’image. Le poème, emporté par la dérivation modale de la partition de Claudio Scannavini, en adopte
     le schème répétitif. Il déborde le signifié et, ainsi, en disant l’éloignement de l’Heimat, il en construit un autre
     que l’on porte en soi, celui de l’amour de la langue poétique.
                Les parenthèses ajoutées au titre originel le transportent ainsi en terre d’intermédialité, le
     laboratoire d’art contemporain Hermes Intermédia. Cette maison sous l’égide d’Hermès, le dieu porté par
     le désir de la parole à conquérir, et contre la classification apollinienne des muses chacune dévouée à un
     art ; ce dieu qui préfère les paroles d’oracle, de divination, ces voix portées par le chant, et le mouvement...

                                                                                                     Simone Dompeyre

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