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Barbara FRIEDMAN & Gilivanka KEDZIOR

                                          [ECDYSIS]

                                          Interview à bâtons rompus

Barbara : Nous travaillons ensemble depuis trois ans maintenant, et nous avons tout de suite commencé
à travailler en performance, alors que j’étais plutôt vidéaste et peintre à la base, cependant la rencontre a
fait que la performance s’est imposée comme… une obligation, une évidence plutôt…

Gilivanka : C’est comme une drogue ; on ne peut plus s’en passer...

B : Une petite drogue. Ce qu’elle a apporté, c’est de rentrer en réel contact avec le public, ce qui, pendant
dix ans, n’avait pas été le cas pour moi ; car que ce soit en galerie ou en vidéo, on n’est pas réellement
dans le dialogue mais plutôt dans la “monstration”. C’est ce qu’en tant qu’artiste, je ressentais et vivais
comme assez frustrant. Et… Gil est arrivée et, j’ai commencé à discuter réellement avec le public, dans
nos œuvres, quand nous nous sommes retrouvées au milieu du public, ce qui était beaucoup plus riche
en échanges et par les réactions.

G : C’est aussi très surprenant vu nos tempéraments respectifs ; personnellement, j’ai beaucoup de mal
avec l’Autre avec un grand A ; et me mêler au cœur du public alors que je ne l’avais jamais fait a été une
énorme prise de risque. En effet, je me remets en question à chaque fois, et en même temps, c’est un peu
comme si j’étais schizophrène, comme si j’avais deux personnalités mais je ne peux vivre pleinement qui
je suis qu’en performant ; puisque que tout ce qui ne serait pas accepté par la société et les conventions
sociales, je peux les jouer d’une certaine manière quand je performe. Dans ce sens-là, c’est devenu vital
pour moi de faire de la performance et quand je ne performe pas depuis longtemps, je suis en manque.
Je ne suis pas bien du tout.
Performer est devenu une absolue nécessité. Plus on performe et plus on prend plaisir à le faire et plus
on a envie d’aller loin et plus on a envie de sauter sur le fil, parce que je crois que c’est ce qui caractéri-
se aussi ce qu’on fait : c’est ce qu’on essaie toujours de travailler les performances, avec vraiment une
dimension……

B : située sur les limites ou l’équilibre ou…

G : oui, vraiment sur le fil du rasoir… entre qui tu dois être pour être acceptée socialement et que tout se
passe bien et une espèce de passager… « noir » ; un peu entre les deux…

B : D’après moi, vraiment une évidence, une évidence commune à tous s’impose : la liberté qu’on a quand
on performe n’existe pas dans les autres médiums. Cela est très propice aux imprévus, et devient une
vraie prise de risque dans mon intégrité physique. Les réactions d’une foule ou d’un public peuvent être
très différentes les unes des autres voire parfois très surprenantes. Ce quelque chose d’hyper stimulant
peut relever de l’addiction au bout d’un moment.
Ce n’est pas tant être des artistes d’un public mais vraiment comme si on amenait le public dans une
“œuvre globale”, avec un contexte sonore, avec des références visuelles alors l’œuvre est tout autour
d’eux que ce soit dans l’ambiance, dans ce qu’ils entendent, dans tout ce qui les transperce malgré eux,
qu’ils l’aient décidé ou pas à tel point que parfois on aurait presque envie de s’excuser.

G : Comme si on créait des espèces de no man’s land et qu’on amenait le public dans ce no man’s land,
qui n’en est plus un à la fin.

Performances - Histoire(s)                                                                                       85
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