Page 86 - catalogue_2013
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Barbara FRIEDMAN & Gilivanka KEDZIOR

                                          [ECDYSIS]

Par exemple, j’ai eu un tout petit problème par rapport à la clarté de la salle, parce que je me suis
sentie moins happée ou mise à terre par la projection vidéo. La première fois l’espace étant beaucoup plus
sombre, nous avions vraiment l’impression d’être coincées dans cette ombre, dans l’espace entre l’écran
et la projection vidéo, alors qu’ici nous étions un peu plus dans la réalité, mais c’est intéressant aussi,
d’expérimenter avec les contraintes techniques et avec la réalité des lieux qui ne sont pas vraiment tels
qu’on aimerait.

B : Par-là, nous nous sommes rendu compte de l’impact de la vidéo sur nous, et comme nous sommes
guidées par cette idée de nous dénuder au final, même si nous ne finissons pas nues, la projection sur
nos corps s’est avérée rassurante, son jeu d’ombre et lumière, où on apparaît ou disparaît, nous a fait
prendre conscience d’être beaucoup plus proches des personnes près de nous.

G :… et beaucoup plus nues… au sens premier du terme ; ce qui a été un peu intimidant…

B : Avec le recul… et quelques commentaires entendus du type : la lenteur des mouvements est
dérangeante, le regard qu’on porte sur le public est dérangeant, je me suis rendu compte que je regardais
les gens ; donc j’ai appris comment j’étais moi quand je performais, parce qu’on est quand même dans un
état un peu second.

G : Dans cette mesure, les retours photos et vidéos nous importent car ils nous permettent de vérifier sur
nos visages l’exactitude de l’attitude à cet instant-là, de regagner le souvenir de l’état dans lequel on se
trouvait quand on performait.

B : Je ne sais pas si le mot adéquat est “exactitude” parce que ça voudrait dire qu’on a envie de
donner à voir quelque chose de fermé et de très précis…

G : de justesse alors…

B : oui, de justesse… parfois nous découvrons sur nos visages certaines choses que nous avons vécues.

G : Ce qui reste fondamental, c’est à quel point, même si nous donnons cette impression d’être emmurées
parce que très concentrées, en même temps, nous sommes “super perméables” à ce qui se passe à
l’extérieur et autour de nous, et notamment aux émotions des spectateurs.
C’est quelque chose de fondamental pour moi à étudier, à quel point pendant que nous performons, nous
pouvons, dans une certaine mesure, être ouvertes aux sentiments que nous déclenchons chez les
spectateurs, ainsi qu’à toute cette partie sensible qui est un peu en flottement dans l’air pendant que ça
se passe.

B : Notre enjeu vise à casser cette limite entre ce qui est à l’intérieur de nous et ce qui est à l’intérieur des
autres ; atteindre ce rapport entre l’ordre et le chaos, et les éléments calculés et cette pose de limite
perpétuelle parfois dépassent notre être du quotidien.
Oui, c’est un peu comme si l’acte et le fait d’être dans un espace vraiment présent, dans l’instantanéité…
nous décorporalisaient.

Photos in situ : Robin Cuquel

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