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                     Traverse projette aux Abattoirs

                                                                                      Florian Luthi, Icicle ou didascalies
                                                                                      impromptues, 12 min

                                                                                              Le grand écart…
                                                                                           Qui entre là doit laisser ses certitudes
                                                                                      à l’entrée, devant l’antre…Le mode d’em-
                                                                                      ploi, cependant, est tendu par le titre à
                                                                                      nombreux seuils.
                                                                                            Icicle, une connotation de toponyme,
                                                                                      mais sans la possibilité de situer ce lieu, ou
                                                                                      la simple traduction de l’anglais « froid /
                                                                                      glacé » qui, elle aussi, peut glisser vers un
                  emploi figuré « givré » qualifiant outre la température, tout un chacun qui agirait dans la différence
                  des habitus sociaux. Cet envol vers le sémantisme ne doit pas effacer une piste musicale, celle-là:
                  Icicle s’avère le titre éponyme d’une pièce instrumentale composée pour flûte solo, aux sonorités
                  de cristal / glace, par Aïtken, en 1982. Et cette partition s’approche au plus près de l’espèce d’espace
                  composé par Florian Luthi quand la flûte traversière en continu, passe du quart de ton aux trilles, avec
                  des accents japonisants et tel doigté inhabituel, alors que, sur une scène aussi nue que celle du No, deux
                  êtres, homme et femme, assis ne disent mot, ne se levant de leur chaise design, style Starck - elle mêle
                  le plastique de l’assise au métal des deux pieds de devant - que pour descendre les marches de l’estra-
                  de et pour y revenir par deux fois, hésitant dans leur foulée parce qu’ils ne regardent pas où ils posent
                  les pieds. Ou Didascalies impromptues, le second syntagme devrait avoir pour fonction d’ expliquer le
                  premier terme « Icicle », ainsi que le font les sous-titres précédés de ce « ou » alternatif, pourtant l’asso-
                  ciation de termes, dont on sait qu’elle rassemble deux termes aux sèmes divergents, poursuit le dépla-
                  cement. Cela invite à poursuivre la recherche: Impromptu comme simple copie du latin esse in promptu
                  se lirait en français comme « être à portée de main », « à disposition ». Le XVIIème siècle, siècle d’amour
                  de la langue, siècle du théâtre français ( et même s’il ne fut pas le seul dramaturge, celui de Racine et de
                  ses vers opéra, fondés sur le signifiant sonore), choisit cette expression pour désigner des exercices de
                  style, bien avant Queneau. Ceux-là étaient improvisés, dits lors d’une occasion particulière ou répon-
                  daient à une question d’actualité. UN genre en naquit, avec l’Impromptu de Versailles par lequel Molière
                  en 1663, répondait aux attaques suscitées par le succès de l’École des femmes de l’année précédente;
                  il y dépassait ce propos en lançant en abyme la question de la théâtralité. Molière y organise, par acteurs
                  interposés, son manifeste de la théâtralité, il y pose les questions- toujours contemporaines ! - de l’inter-
                  textualité, de la puissance de l’illusion de la représentation, du travail des comédiens. Icicle de Florian
                  Luthi trouve, là aussi, sa lignée. La vidéo interroge la limite du visible vidéo, la distance entre le vu et le
                  dit, la force du contrepoint et la notion même de personnage. Florian Luthi sait aussi le plaidoyer pro domo
                  de Giraudoux dont L’Impromptu de Paris reprit le faux spontané de la pièce de Molière, pour expliquer ce
                  qu’est le théâtre et raconter un rêve où Jouvet - jouant Jouvet - justifie le « littéraire » des pièces girar-
                  diennes à un député devant décider de l’attribution d’une subvention. Icicle peut s’appréhender comme
                  le manifeste d’une vidéo autre.
                             La forme même garderait de cette source le simple, le sans décor, le sans costume du couple sur
                  la scène. Il s’y entend des rêves, des souvenirs mais sans que s’ouvre la bouche de ceux-là, ce sont des
                  voix appartenant à d’autres - ainsi que le révèle le générique. Rien n’a lieu que du texte et quelques ébau-
                  ches de sourires non dédiés alors que les trouées vers des ailleurs refusent l’imitation d’un espace réalis-
                  te. Si le générique - encore - cite des églises celles d’Héremence dans Le Valais et de Riddes, et un
                  temple, celui de St-Jean La Chaux-de-Fonds… n’en sont visibles qu’un pan de mur incurvé, une
                  voûte avec ouvertures irrégulières, une structure géométrique en ellipse, un escalier en spirale, une
                  architecture dépouillée et inversement un monticule de gravats ; rien ne dénote ces édifices, rien
                  n’y forme une maison, un lieu-dit.

            34 Cinéma expérimental, art vidéo, monobandes - Processus
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