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Fred PERIE
A la fin, le processus s’interrompt soudainement, remplacé par une vue de la salle de cinéma,
dont les fauteuils sont cette fois-ci vides. Seuls y flottent des nombres, figurant les abscisses et ordonnées
des visages des spectateurs jusque-là visibles. Ce qui est ainsi suggéré, c'est que l'idée même de mesure
suppose l'emprise du calcul sur le sens, qu'avec l'accélération de l'automatisation, cette emprise s'étend
aujourd'hui à tout. Se voulant en apparence extérieure au sujet, la chose calculée est déclarée objective,
et cela, au seul motif qu'elle relèverait de la science, à vrai dire un tour de passe-passe. Ce processus
« final » fait par là-même non seulement violence, mais demeure aussi parfaitement illusoire quant à sa
finalité. Il est en totale opposition au désespoir, aux pleurs, à la violence critique, qui ont précédé.
Ce qui nous lie, ce serait la recherche d'un sens à jamais inaccessible, ce serait s’accommoder
de ce non-sens qu'est un destin sans destin.
Le texte dans le film
« Au début... une agitation ! un début ? ...une agitation, qu'on pouvait croire insensée... chacun avait
l'illusion de ne pas y penser. Il y aurait donc eu là la possibilité d'un sens et beaucoup étaient tentés :
une explication en dehors, en dehors d'eux ? Un texte ailleurs, un texte déjà là... dans cet ailleurs-
avant... Pourtant il fallait bien « être » ! ... peut-être. Maintenant ils sont sans destin, s'abandonnant...
s'abandonner à rien, ce n'est pas plus absurde qu'une autre posture. Mais être sans avenir ? - Non !
Décidément non ! Quelque chose serait donc en train de s'écrire là, mais doucement. Une musique ?
Un texte simple et vrai ?... tout serait vain sinon. Tout serait vain sinon cela, cela que l'on éprouve. Celui
qui vit, s'emploie à penser ressentir... ou à imaginer ressentir. Il ne communique que cela, pourvu qu'un
autre pense à ressentir de même... ou se l'imagine. Celui-là et cet autre ne se laissent pas pénétrer par
l'idée de l'idée, substituée à l'idée, par l'idée du fantasme, substituée au fantasme. Ils sont dans des
temps décalés et cependant ils résistent. Ils disloquent le réel dit réel, le simulacre. Ils l'éprouvent. Ils
l'obligent à se placer dans leur propre monde. Ils savent le chaos et, de là, voient surgir des formes, des
formes par trop étranges... des formes nées de leur propre désir : du désir de trouver des formes ! Le
texte, ce serait cela... face à « ce que j'ai perdu », face à « ce que j'ai gagné », ceci même face à cela
même! Le passé en désordre... Un texte donc, dressé face au chaos ! Pourtant la nuit vient... et tu me
parles. La machine continue sa manière de défilement... pas même une fiction ! Une arithmétique plu-
tôt, mais fausse, car elle n'est que l'illusion d'un infini, qu'un artifice que nous savons borné, mais dont
la limite nous restera inconnue, cela aussi nous le savons... nous voilà maintenant silencieux, au-delà
des cartes et du temps. avec la crainte incessante que, la lumière disparaissant, tout ne s'efface. »
Fred Perié
Remerciements à Jean-François Blanc et à Félix Imbert de l'ESAV pour leur aide précieuse lors
de la mise en place technique.
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