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Natalie PLASKURA

                                       Faint et Intrusion

Le surgissement sans heurt.
              Intrusion, d’emblée nous sommes avertis que nous entrons en lieu gardé, interdit, que franchir le seuil

est à nos risques et péril. Que l’impossible soit ainsi donné en titre à une vidéo, sa fonction étant d’inviter à voir,
réunit les deux pôles de la fascination : attirance et frayeur, attrait subjuguant. Et puisque offert en boucle sur grand
écran, au fond de la cave obscure du Goethe Institut - Faint suivait Intrusion - leur succession a induit à entendre
ensemble ces deux termes, et par contamination à traduire ce second titre par défaillant, flou ou plus encore comme
une invitation à s’évanouir… Le défi s’y poursuivait sur le risque de succomber, de ne pas suivre ou au contraire de
faire défaillir l’esprit de raison au bénéfice de celui de sensation aigüe.

              Baisser ainsi, la garde implique de ne pas chercher de grands ancêtres exaltant la beauté du bizarre.
Pourtant Les Fleurs du Mal décrivent la charogne et sa puanteur, en accord avec la théorie esthétique de Baude-
laire « Le beau est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu’il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce
cas il serait un monstre sorti des rails de la vie. ». Ce genre de beauté d’irrégularité, de discordance sourd puis se
déclenche quand la norme pèse par trop, ceci concerne Intrusion et Faint, sans rien dire de leur différence dans ce
quartier des étranges.

              Faint serait de l’ordre des Mystères. Un hôtel luxueux, sans ses bruits, sans sa clientèle, dont ne se
visite qu’un grand salon, une pièce obscure, et le hall immense de l’ascenseur devient l’antre obscure d’arrivée de
quelques figures hiératiques. Liftier, soubrette, jeune fille, animal, nul n’a besoin de porte ni de prétexte pour entrer
dans l’espace ni pour le quitter. La causalité n’est pas rationnelle. Elle suit d’autres raisons… pourquoi pas celles des
mystères latins et autres rites dévoilant d’autres manières de vivre au monde.

              Ces êtres sans mots, s’arrêtant selon des obligations non-explicites s’apparentent aux mystes, ces
initiés aptes à pénétrer plus avant dans le caché, et qui ne doivent rien en dire. Sans la frénésie attribuée aux rites,
le film ne s’ouvre que par la cadence marquée d’un métronome, le tempo est rappelé. L’on y surgit quoique sans
effraction, en apparition, disparition; le surgissement sans heurt est la règle.

                            GOETHE INSTITUT                                                                                127
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