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Natalie PLASKURA

               Le décorum, la dimension des pièces et de la cheminée signalent l’Hôtel de luxe, les meubles et les décorations
            le classent dans le grand hôtel traditionnel. Le vide de ses couloirs, de ses espaces déconcertent et plus encore ce
            qui distord son calme, une traîne de longs cheveux blonds glisse derrière une colonne carrée à décorations de vase
            néo antique du XIXème siècle, sans que se dévoile la jeune femme ainsi coiffée. Une contre plongée zénithale des
            escaliers nus puis un plan d’ensemble ouvrent l’espace à un basset affublé de roues accrochées à son ventre. En
            incipit, un bric-à-brac accumule chaises renversées d’où émerge une queue de sirène, botte unique de vernis noir…
            il se distingue de l’espace vide ou ordonné des autres lieux, hormis une autre pièce avec un faux désordre organisé:
            une petite table de bois luisant supporte un récipient garni de poissons dont un git sur la moquette, une cheminée
            décorée d’un tableau ovale et autres objets indiscernables et un sofa avec tissu, où est assis le chien à roues près
            d’une horloge meublent cet espace, éclairé par des appliques à bougies.

                          La fonction de l’incipit, on s’en souvient, est de lancer un pacte de lecture, celui-ci le fait par métonymie,
            il ouvre sur un rébus indéchiffrable en donnant le la de l’irréalité, du demi-éclairé, de l’autre. Les seuils du film déli-
            mitent un monde n’obéissant qu’à sa logique, logique d’un onirisme sombre. Des situations sans autre raison d’être
            qu’elles sont là, se succèdent, en échos, cercles concentriques mais ni transformation, ni conclusion.

                          Soubrette sans service, désignée par le costume liée au genre d’hôtel, jeune femme arrêtée devant les
            ascenseurs, figée sans preuve d’attente de quelque élément ou de quelque personne. Une jeune femme à la très
            longue coiffure compliquée - celle glissant derrière la colonne - près d’un gros chien affalé, jouxte un homme assis
            dans un fauteuil. En profondeur du champ dans les escaliers, s’entr’aperçoit le bas du corps d’une jeune femme au
            jupon apparent...

                          La soubrette se tient devant une porte ornée d’un drapé, sur le côté une valise avec la queue d’un
            serpent, sur le mur dans un cadre ovale, un dessin de profil du chien à roue. Pas d’inquiétude cependant car pas de
            menace, une atmosphère obscure enveloppe l’espace – pour paraphraser Baudelaire qui ainsi décrivait la ville, dans
            Recueillement, alors qu’il s’adressait à la douleur :

               « Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
               Tu réclamais le Soir; il descend; le voici
               Une atmosphère obscure enveloppe la ville … »

                          La lumière tamisée vient des lampes posées qui produisent un halo jaune parfois doublée par un miroir,
            ou de bougies voire du vasistas au plafond produisant la même lueur circonscrite.
            Ainsi une même étrange tranquillité rassemble les instants, instants « récapitulatifs » d’une intrigue sans raison, rien
            ne précise si l’attitude est un avant faire ou la conséquence, un après avoir fait. Le plan décrit un moment condensé.
            Le temps y est sans prise.

                          D’emblée, le son indiciel d’un métronome amorce une temporalité sans avancée et l’instrument
            scande l’imperturbable alors que ce qui s’impose dans le champ s’avère incongru. Des poissons entassés dans un
            urinal, aux yeux brillant inaugurent un bestiaire discordant avec le lieu et lors du déroulement du générique final,
            parmi les corps contenus dans les bocaux nombreux décorant l’immense cheminée, se révèle baignant dans du
            formol un serpent jaune et vert. Ce peut aussi être plus « mignon » comme des canetons mais ils sont alors sous
            cloche de verre.

                          Les « humains » ne dérogent pas à ce décalage. Si un liftier a pour fonction d’emporter en haut ou de
            ramener en bas, son « passager », ici, il reste assis alors que les portes de l’ascenseur s’ouvrent et se ferment sans
            utilité pragmatique ; quand il se meut, il figure un accompagnateur sans mimique. Dans la pièce plus meublée, une
            jeune femme en robe courte d’un autre temps - elle ressemble tant à la soubrette - sans réaction aucune regardant
            droit devant elle, est tenue à l’épaule, par une autre en robe moulante, bottines, petit chapeau de fourrure noirs et
            colliers de perles, sans explication. Nul n’affiche sentiments ni sensation, le gros plan autour du visage sans affect
            du jeune homme l’atteste : cela a lieu.

              Intrusion, assure ce pouvoir de création d’un ailleurs si proche, alors qu’il est le premier film, et film de fin d’études,
            de Natalie Plaskura qui a étudié à l’Université des Arts et des Sciences Appliquées de Dortmund, où elle a « concen-
            tré ses recherches autour des langages conceptuels et travaillé dans la mode, le design et la direction artistique ».

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