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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS

                                                 En bonne émission d’enquête, le «Programa de investigación»
                                              s’adapte à son environnement et inclut, d’une façon ou d’une autre, l’es-
                                              pace dans lequel il se déroule. Les questions sont variables même si le
                                              fond (vert) reste le même: les fantômes, les objets volants non identifiés,
                                              la vue (les visions), le souvenir, l’apparition, la synthèse.

                                                             L’épisode 3 du Programa de investigación s’est dérou-
                                              lé à l’ÉSAD Strasbourg dans le cadre du projet inter­régional Digital Art
                                              Conservation qui abordait la question de la conservation de l’art numé-
rique et des problèmes sous-j­acents que posent l’enregistrement, l’archivage, la transmission, la technologie, la
volonté du créateur, le pouvoir du propriétaire. Il s’agissait d’une soirée performance alternant interventions filmées
d’artistes, performances en direct et commentaires des protagonistes du Programa de investigación.

Ronny TROCKER, Gli immacolati, 13min 27, BEL

              « J’aime bien quand les artistes dérangent, ils ont pour moi la responsabilité de réfléchir depuis un autre
point de vue et parfois secouer les opinions. L’art doit nous sortir de ce que l’on pense connaître, nous détourner du
point de vue que l’on pense être certain. »

              Ronny Trocker, étudiant au Fresnoy, affirmait sa conviction d’un cinéma qui fait acte lors de sa présen-
tation de Gli immacolati / les Immaculés. Avec cet étrange titre, puisque le singulier, synonyme de virginité, renvoie
à la Vierge, loin de qualifier des hommes… il ouvrait ainsi une attente alors qu’il revenait sur un cruel fait divers, de
décembre 2011, à Turin, plus connu en France qu’en Italie, où il fut tu tant il gênait la bonne conscience collective.

                         Ce court métrage entraîne ainsi à réfléchir sur les conduites d’une foule portée par des préjugés pro-
           pices à la haine, il le fait par l’invitation du conte « il était une fois », inattendue seulement pour qui oublierait la
           fonction d’apprentissage de ce genre qui peut être aussi « conte cruel ». Le film cumule ces deux esprits, s’avérant
           documentaire, d’éveil voire de provocation à la réaction. Ronny Trocker s’inquiète du réel qu’il reconstruit virtuelle-
           ment, y compris en 3D, à partir de photographies qu’il a prises, plus tard, des lieux : une friche industrielle où vivaient
           des membres de la communauté rom, proche d’un quartier populaire. Ce camp de fortune a été saccagé et incendié
           par les habitants du quartier, à la suite d’une manifestation aux flambeaux organisée en solidarité avec une adoles-
           cente de 16 ans qui avait faussement accusé de viol deux garçons roms pour cacher à son frère son émoi, après
           sa première expérience sexuelle avec son copain. L’immaculée glisse par-là d’elle à ceux accusés à tort désormais
           « les immaculés » de ce crime.

                         Le film provoque très sciemment, en écho à ce qu’a ressenti le réalisateur, d’autant plus que peu
           d’images filmées ou photographiées en avaient été diffusées. Lui a entraîné deux comédien et comédienne à lire,
           en off, comme porteurs de la mémoire des textes dans ce lieu qu’il transforme en un espace mental étrange avec
           matériau de construction et plantes sauvages, traversé en travelling. Parfois des manques du logiciel perturbent le
           déroulé en métaphore des pertes de souvenir de la pensée. Pertes conscientes ou inconscientes puisqu’ainsi se
           forme la mémoire des choses.

                         L’image de ce lieu s’éloigne de celle d’un lieu d’habitat; aggravant les actes destructifs de la foule, l’ap-
           proche touche sol et murs, espace ravagé ou devient touche plus abstraite; cependant les mots dits croisent ce que
           le frère de la jeune accusatrice a entendu d’elle et ceux relatant les conséquences désastreuses pour elle et sa com-
           munauté d’une jeune mère rom. Ils le font en une étrange musicalité sans crescendo qui s’achève sur la répétition
           de l’incipit : « era una volta ». Une parenthèse qu’a fermée la société pour l’effacer de la mémoire, mais que l’écriture
           en poésie vidéographique de Ronny Trocker réanime sans succomber à la violence ce qui trouble plus encore..

                                                                                          Simone DOMPEYRE

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