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VIDÉOS ET FILMS D’ICI ET D’AILLEURS
Marie VON HEYL, Interior (Utopia), 7min 52, ALL
La vidéo suit l’artiste examinant son petit appartement lon-
donien en utilisant comme étalon son propre corps. Sans renfort d’expli-
cation savante, elle implique dans cette pratique familière : le calcul de
la surface d’un lieu, la référence absolue de l’histoire des arts, le module
voire le modulor. Son intérieur s’apparente voire se confond avec ce
trope esthétique, il se met sous l’égide de l’idéal utopique moderniste du
Modulor. Avec un certain sourire, le dispositif est simple, elle découvre
les constantes symétries et les interconnections entre le corps humain
et son environnement artificiel. Elle refait en ready made actif puisqu’en
perfomeuse, l’Homme de Vinci.
Jing WANG, Je ne suis pas un clou chapitre 1,
4min 23, CHI/FR
Condensé d’Histoire chinoise en une courte leçon
d’outillage… ou la désobéissance.
En très gros plan, selon un axe presque zénithal
pour la meilleure approche, un clou que l’on ne peut déplanter
malgré une tenaille devance une vis aisément ôtée par le bien
désigné « tournevis » en laissant sa trace, son trou dans le
bois. La voix off féminine, celle de l’artiste, surenchérit dans
le didactique; elle redouble ce qui se comprend aisément, et
ce faisant augure de l’esprit d’ironie qui conduit ce court film.
La raison de cet apprentissage, se saisit par le parti pris du titre et l’adoption de la même graphie en
jaune, pour le rappel de l’injonction de Mao Zedong « Devenons des vis pour la révolution ! », ordre précédé de
l’indication temporelle « il y a 47 ans ». Et le film de glisser vers cette époque, en empruntant un fragment d’un des
premiers films de propagande maoïste, qui élevait le jeune Lei Feng - mort en 1962 - au rang de modèle. Il le devint
parce que Mao, ayant pris connaissance du journal intime et de l’abnégation de ce jeune paysan dévoué à la cause,
lança le « Suivre l’exemple du Camarade Lei Feng ». La séquence du film de Dong Zhaoqui décrit Lei Feng qui
reçoit le Petit Livre de Mao et l’annote appuyé au volant d’un camion puis plus bucolique sous la branche d’un saule
pleureur. Une voix féminine égrène des adages donnés comme aphorismes « on ne peut vivre sans manger/ on ne
peut conduire sans volant / on ne peut pas faire la Révolution sans lire Mao ». Lei Feng assemble les deux preuves,
alors que le fondu enchaîné entraîne à la lecture de ce qu’il écrit, grâce à un gros plan… la vérité banale s’avère une
prescription, un précepte à suivre absolument selon la conclusion du jeune homme « j’ai compris (…) je veux être
une vis qui ne rouille jamais ».
Cependant le noir et blanc de cette hagiographie est suivi d’une série d’images fixes, type carte postale
avant un travelling sur des immeubles contemporains. Le second moment est emporté par un chœur entonnant un
chant patriotique - « le ciel du monde libéré » - en inversion du premier qui exhibe telle ou telle maison délabrée,
désormais seule dans un terrain visiblement remué pour en construire de nouvelles. Ces maisons s’imposent comme
autant d’ilots de résistance, la carte de la Chine plantée de longs clous l’assurerait à qui ne voudrait pas le saisir. Le
film continue sa longue phrase, son explication en creux qui s’éclaircit plus encore, avec deux changements de prise
de vue successifs. Un travelling se fraie le passage dans des ruelles, peu visibles, et dont des décombres jonchent
le sol, il devance un nouvel intertitre « 3 jours après j’y retournais » et la couleur de plans incluant de beaux enfants,
des adultes, mais tête hors champ; ils regardant les photos que l’artiste leur tend, disant qu’elle tenait sa promesse
de les leur apporter. Un second temps déborde ce plaisir, pour, sans commentaire, parvenir à l’un de ces îlots. Jing
Wang suit un homme dans l’appartement où il vit depuis soixante ans et qu’il ne veut pas quitter.
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