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TRAVERSE VIDÉO ET AUG & OHR MEDIEN
Rebecca BLÖCHER, Quälen, 4min 3, ALL 53
Quälen ou Torture adopte le poème épo-
nyme d’Etta Streicher pour réclamer la transformation
absolue des manières d’être au monde. Rebecca
Bloecher lance en voix over le poème et stigmatise,
avec lui, l’inversion des valeurs qui a conduit au si-
lence sur les exactions, à la violence endémique, à
l’usage des armes, au viol. Elle constate que le monde
se poursuit, peu attentif à la poussée du « mauvais »,
qui s’insinue sans qu’on s’en méfie voire en s’y habi-
tuant; elle accuse le choix de mauvaise musique, les
murs fissurés y deviennent emblématiques de cette
vie fourvoyée. Le désir est de choquer pour réveiller
la conscience et provoquer des changements.
L’animation n’hésite pas à la rudesse, animation qui par ailleurs, joue la carte du fait-là, sur le moment
où le poème se dit, puisque les feuilles nécessaires au banc-titre pour filmer image à image, se superposent pro-
duisant et suivant le mouvement des figures. En incipit, déplacement latéral dans la maison - Heimat dévasté - dont
le vide des pièces répond à leur délabrement. Rebecca Bloecher ne cache pas qu’il s’agit d’une maquette; elle com-
pose un apologue, avec des exemples clefs du mal-être par lesquels elle désire toucher… elle la quitte en travelling
inverse en explicit, lorsque l’inversion à mener est énoncée et que l’on entend de la « bonne musique ».
Apologue revu et corrigé car elle ne cherche pas à séduire et s’éloigne du didactique, mais sa figure est
métonymie des torturés. La jeune femme brune en chemise de nuit, nus pieds, bouche obstruée par un citron, noyée
dans l’eau montante, assise de force dans un fauteuil afin que son oreille subisse le religieux, le télévisuel sans sa
propre décision est la figure de tous les torturés. Le dessin est précis, sans ambiguïté, il forme, transforme l’objet, le
vêtement, les mimiques de la jeune femme selon le moment du dire du texte toujours porté par l’énergie et porteur
de conviction pour que l’on réfléchisse à nos choix du réel.
Simone DOMPEYRE
Alexander HERINGER, Fortune faded, 3min 11, ALL
Fortune faded : étrange proposition dont
la traduction embarrasse : ce qui est advenu - fortune la
chance, le destin quand on accepte que les dieux en sont
responsables et non l’homme, le tour favorable ou défavo-
rable d’une situation, expliqué par le hasard - a glissé, a
disparu alors le titre renverrait à la diégèse, ou lu comme
fondu / fade, ce raccord par transition vers un autre état, à
la technique cinématographique. La structure du film sou-
dée au projet induit à rassembler les deux acceptions. L’in-
cendie d’une maison, que les pompiers tentent d’éteindre
et dont le père est le seul rescapé; le soir de Noël à cause
d’une bougie tombée sous la tente d’Indien de l’enfant qui a rejoint sa chambre dans l’espoir vain de ne pas entendre
la dispute de ses parents; dispute née de ce que la femme alors qu’elle décorait la fenêtre pour la fête, a surpris
devant chez eux, son mari avec une amante lui offrant une écharpe.
Ce serait un drame banal de jalousie conjugale avec des conséquences mortelles pour l’enfant alors
que le premier plan narratif s’avère le dernier chronologique, le film part de la résultante : Fortune faded part d’un
rescapé d’un incendie et remonte jusqu’au duo amoureux avec cet homme. Ce serait un exercice sur la temporalité
privilégiant la prolepse en émule de Sunset Boulevard / Boulevard du Crépuscule, de Billy Wilder, l’exemple achevé
et justement canonique depuis 1950 : son incipit identifie, par la voix off d’un narrateur qui s’avèrera, lui-même, la
victime, un homme assassiné flottant sur le ventre, dans une piscine. La voix explique ce qui a conduit cet homme
scénariste raté à devenir le gigolo d’une star du cinéma muet fantasmant sur son retour sur les écrans avant que le
flashback ne décrive la rencontre, les frasques de la star jusqu’à l’assassinat.
CINÉMA EXPÉRIMENTAL -ART VIDÉO- MONOBANDES
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