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TRAVERSE VIDÉO ET AUG & OHR MEDIEN

                         Cependant, la structure de Fortune faded ne se résume pas en une prolepse : enveloppé d’une cou-
           verture, sur un trottoir, un SDF allume une cigarette, un énorme nounours de peluche abîmé à ses côtés, avant
           qu’un travelling latéral ne découvre les pompiers, avant que l’enfant du nounours ne soit décrit dans sa chambre se
           bouchant les oreilles, la bougie rouge tombant, avant qu’il ne monte l’escalier déjà mains sur les oreilles, avant que
           les parents ne fassent tomber la table avec des bougies, avant la photographie de la famille heureuse avec l’ours
           de peluche… ceci jusqu’au plan de l’adultère. Une telle maîtrise de l’a-chronologie - c’est le premier film d’Alexander
           Heringer - rappelle la structure sophistiquée de Memento de Nolan : tentant de sauver sa femme, violée et asphyxiée
           dans leur propre salle de bain, Leonard blessé perd sa capacité de mémoire à court terme ce qui l’oblige pour se rap-
           peler les faits et informations élémentaires, à trouver des astuces comme les tatouer sur son corps ou photographier
           avec un appareil à développement instantané, avec une brève description sur les clichés. Il cherche l’assassin. Le
           montage débute avec la dernière scène, avant que ne progresse la diégèse, de la scène Y à la scène Z, puis de la
           scène X à Y, la scène précédente dans l’ordre du film serait suivante dans l’ordre chronologique linéaire.

                         Le feuilletage du titre inclut cette concaténation fondatrice, l’enchaînement des faits y obéit à une cau-
           salité forte, l’un provoquant l’autre, et le renversement temporel puisque la conséquence est donnée alors que l’on
           ne la comprend comme telle, qu’après être remonté au passé.
           C’est une brillante métaphore de la vie comme succession de moments distincts que seul le récit / film assemble et
           rend logiques et un retour sur l’image première constitutive de tout film.

                         L’écriture du film pousse la métaphore en suspendant les moments suspendus par le gel d’image. Cette
           technique du cinéma consistait à arrêter une image brisant ainsi l’illusion du mouvement sur laquelle repose le ciné-
           matographe- écriture par le mouvement. Ce principe demeure même si la pellicule n’est plus le support. Alexander
           Heringer a saisi que le freeze frame détachant chaque geste, donne au comportement un poids suffisant pour entraî-
           ner une conséquence. Cependant, il ne juge pas, il détache le moments de ce désastre sans accuser quiconque de
           pyromanie, de désir de mettre le feu à la maison - Fortune faded - même si l’homme a trompé la femme, même si la
           femme a succombé à une rage jalouse, même si tous deux ont oublié que c’était l’un des jours préférés de l’enfance,
           la vidéo refuse le psychologisme pour s’en tenir à la chaîne des faits.

                         Elle renoue avec la théorie du battement d’aile du papillon de l’autre côté de la planète, en la rappro-
           chant au plus près de nous, par la mort d’un enfant dans le choc de la réalité. Cela paradoxalement, car la vidéo fige
           chaque protagoniste, mêlant 3D et 2d pour des rapprochements, des changements d’axe, voire des champs-contre
           champs, ce qui anime l’intrigue, attache le regardeur et dépasse l’unicité d’un exemple pour saisir le poids de l’em-
           ballement des faits. Par-là, paradoxe accru, en figeant l’acte dans l’espace, il lui rend une force temporelle, celle qui
           fait que cela qui a eu lieu, peut avoir lieu et cela émeut.

                                                                                          Simone DOMPEYRE

                                                                            Tami LIBERMAN, Home in mind, 10min, ALL

                                                                                          La Second Life est-elle en passe de devenir
                                                                            la vraie vie pour les passionnés du métavers - univers
                                                                            virtuel né de ce programme informatique qui offre à celui
                                                                            qui joue, d’être le résident du monde qu’il crée lui-même
                                                                            des bâtiments aux meubles, des vêtements aux acces-
                                                                            soires, des divertissements aux sons… Il peut opter pour
                                                                            l’acquisition de terrain payé avec une monnaie tout aussi
                                                                            virtuelle, il choisit son métier, ses occupations … Tami -
                                                                            qui partage ce prénom avec la réalisatrice - nouvelle ve-
                                                                            nue dans le métavers, mène l’enquête sur l’état d’esprit
                                                                            des propriétaires de ce monde et sur leur appréhension
           de cette vie. Elle mène l’enquête comme le film qui ne quitte que rarement les images virtuelles. Elle interroge,
           posant les questions que le film pose… sans quitter la figuration sur laquelle elle interroge.

                         Trois habitants se succèdent, réels adeptes : Kleos, active sur Second Life depuis 2008, y est designer,
           y vit dans une maison - poésie avec des objets de mémoire; Fidel Devkota préfère la vie en communauté bouddhiste,
           ne voulant pas s’engager dans une maison à lui; Tourma, après plusieurs déménagements, depuis 2006, considère
           sa dernière maison comme idéale et s’affirme attachée à des objets virtuels, plus encore elle a apporté dans Second
           Life, une partition musicale qu’elle y interprète alors qu’elle ne sait pas jouer au piano dans la vie réelle.

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