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TRAVERSE VIDÉO ET LE CANADA

                          Caroline BLAIS, Video Pool,
                          Étoiles, 2min 45 et Roundtrip, 3min 11

                          Déborder le format de l’écran, les deux courts films de Ca-

                          roline Blais s’y emploient. Roundtrip privilégie le triptyque mais aussi la

                          circularité dans la logique de son titre. Ecran en trois, où se succèdent

                          des paysages, des cartes routières, des jeux et personnes et nourri-

                          tures, des feuilles et végétation qui parfois intervertissent leur emplace-

ment; mais trois aussi les strates internes de ces strophes-images des divers lieux traversés, censées retenir telle

ou telle trouvaille du voyage… le cercle est, bientôt, débordé pour suivre la route en morceaux de cartes, elle-même

plantée de petits arbres de papier découpé, sapins naïfs eux-aussi épris de mouvement alors que des grenouilles

croassent en off. La route glisse vers l’abstraction de bandelettes, elles aussi issues des cartes routières mais c’est

pour mieux revenir aux cercles et au trois du départ : Aller-retour. Cependant, après que le « bricolage-animation »

a abandonné le découpage et le coloriage des feuilles des arbres rencontrés, l’itinéraire s’ouvre par l’envahissement

du champ par des taches stellaires, vers étoiles, le second film.

                          L’envolée en Étoiles est immédiate portée par la musique électronique de Boundary, aux accents du

sitar indien puis en phrasé répétitif méditatif. Un subtil changement de diaphragme le fonde, composé de vues, à

travers un microscope de météorites et de roches lunaires, qui deviennent planètes faites de pierreries, ciel avec

la constellation du chariot, satellite coloré autour de son homologue plus grand. Les variations des plans en gros

plan favorisent le découpage des pierres ou en s’éloignant l’effet vitrail. La simplicité du processus invente un lieu

de l’éblouissement.       Simone DOMPEYRE

                          Anne-Marie BOUCHARD, Vidéo Femmes
                          R _ pour ne pas céder d’un pouce, 9min 41

                                                                          R_pour ne pas céder d’un pouce lace les réactions de cinq
                                                           adolescentes, dénommées dans le générique, auxquelles elle a deman-
                                                           dé leur point de vue sur la Résistance : le grand R du titre. 1O min de
                                                           voix enjouées, où le « des fois » garde l’odeur de l’enfance et induit
                                                           logiquement des critères de cet âge, quand résister peut concerner la
                                                           désobéissance à ranger sa chambre, ou que se cite comme référence
           livresque un Harry Potter face aux méchants ou que se donne comme exemple canonique de la réaction des pa-
           rents, la tempête avant de reconnaître la stratégie employée qui consiste « faire la tête de cochon ou chialer » pour
           faire plier la résistance de l’autre – les parents. Plus mature, celle-là revendique de se faire sa propre opinion ou telle
           autre, sans craindre le pléonasme, « analyse avec sa tête » faisant la part entre les parents manipulateurs et les
           autres ou, plus encore, en développant une réflexion sur le pouvoir à ne pas abandonner aux plus riches et plus forts
           et dont les candidats mentent lors des campagnes électorales en lançant des promesses non tenues par la suite.
                         1O min de résistance de la réalisatrice au diktat de règles imposées par un genre, en refusant le
           témoignage en direct de ces jeunes filles. Les voix sont over, alors que les plans déroulent les rues, les arrêts de
           bus, le port, achalandés de personnes qui se suivent en temps réel ou en accéléré, ou attendent ou, inversement, ils
           décrivent les démêlés et les chocs des joueuses du Roller Derby Québec, physiquement et en vêtements diversifiés,
           elles qui, partagent, toutes, ce refus de (se) laisser faire. De même le brise-glace se fraie un passage jusqu’à la rive.
           Ainsi le film rue-t-il contre la naïveté d’un relevé de témoignages. Plus encore tourné, grâce à la Bolex fournie pour le
           projet Versus, lancé par Spirafilm, il résiste au tout numérique et sait profiter du matériau pellicule. Anne Marie Bou-
           chard gratte ce support; en connaisseuse, elle découvre sous les couches de couleurs primaires, la seconde ou la
           troisième selon la force de son grattage. Des ratures, des griffures envahissent le ciel ainsi que le port ou s’emparent
           de la banquise ou de la rue. Elles dessinent tel cheval s’évadant, ou tel homme auquel s’ajoutent des manifestants.
           Des signes sont formés par le grattage qui les active, celui du pacifisme, celui des anars ou en un tempo plus calme,
           il trace le petit cœur des amoureux et entoure la danse de couples – les parents auxquels il faut résister pour devenir
           soi-même et qui là, s’embrassent.
                         Parallèlement, la cinéaste résiste à la facilité de la prise de vue puisque la Bolex réclame que se fasse
           et refasse le point de vue, sans la vérification du viseur du numérique et elle s’engage dans le grattage photogramme
           à photogramme en résistance à la rapidité ambiante, parce que résister ainsi c’est FAIRE FILM.

                                                                                          Simone DOMPEYRE

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