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TRAVERSE VIDÉO ET LE CANADA
Natalie BUJOLD, Vidéographe, Textiles de cordes, 57
1min 20
Dans cette installation se croisent textile, musique
et vidéo. Découpé par la lumière, l’instrumentiste exécute une
improvisation ou joue une note avec des techniques variées. Les
gestes musicaux sont échantillonnés puis démultipliés de manière
à construire des motifs complexes. Ces trames vidéographiques
génèrent également des timbres et des textures sonores inusités.
Les trois écrans de l’installation les présentent en variations, polyp-
tyques et canons. L’artiste s’est ainsi appliquée à ouvrager des détails et des moments simples en les faisant basculer dans
un autre ordre de perception. Nathalie Bujold
Ce jeu de cordes repose sur des liens, comme un tissage entre des situations, des poses, des objets. L’artiste
construit des motifs en partant des éléments physiques et sculpturaux qui forment l’identité des musiciens professionnels,
membres d’un quatuor à cordes dont la vie se prolonge pour ainsi dire jusque dans leurs instruments.(…) L’intercession
du médium électronique, générateur d’une géométrisation, traduit ici la réalité d’une donnée organique qui n’apparait pas
au départ. Les archets se mutent en organes vibratiles. Les violons filent vers l’alto en évoluant dans des cumuls de
nimbes. Les violoncelles deviennent fantômes grinçants. La démultiplication des prises de vues forme des motifs d’entre-
lacs, comme s’il s’agissait d’un tissage ondulatoire, comme s’il s’agissait de donner vie à la figure même de l’onde sonore.
Fragments d’un article de Fabrice MONTAL, Conservateur de la Cinémathèque QUÉBÉCOISE
Chantal CARON, Vidéo Femmes
Glace crevasse et dérive, 10min
Glace crevasse et dérive de Chantal Caron est, à
la fois, une forme de vanité contemporaine, révélant la fugacité
de la vie humaine opposée à la permanence de la nature, et un
hymne sensible à la confrontation entre l’homme et la nature. Le
paysage rigoureux de l’hiver québécois y devient un décor à la
fois vierge de construction humaine, presque neutre de ce point
de vue, mais reconnaissant la puissance de la nature. Les deux
danseurs tantôt nus, tantôt vêtus comme un chef d’orchestre et une chanteuse lyrique semblent privés de langage.
La communication et le sens passent par des grognements, des mimiques et des gestes qui les rapprochent des
craquements, glissements et dérives de la glace sur le fleuve. Les danseurs sont unis avec ce dernier par un dialecte
sensible et sensuel, qui rend la nature familière mais toujours imprévisible et puissante. Bien que partageant le
mode de communication des danseurs, le Saint-Laurent se comporte sans prise en compte de leur comportement,
ne s’accordant pas avec les postures du chef d’orchestre, ni s’adoucissant quand les danseurs sont nus, exhibant
par là leur fragilité.
Dans cette description, se perçoit comment une absence de langage normé peut être propice à la pro-
fusion des sens. Cependant la thématique de Traverse Vidéo du lieu et des sens, induit à considérer l’influence du
lieu de réception. Cette œuvre de Chantal Caron a été réalisée au bord du fleuve Saint-Laurent, au Québec, durant
l’hiver or ce lieu vu de Toulouse produit l’effet d’un décor, d’un exotisme et non celui d’une réalité vécue. Ce qui a un
double effet, d’une part en amplifiant le caractère esthétique du lieu par son étrangeté, d’autre part il n’entraîne pas
ou peu de réminiscences susceptibles de connotations positives ou d’angoisse. Cela a un impact sur la réception
des propositions artistiques. Par exemple, certains plans de Glace crevasse et dérive s’apparentent à la nature
morte, par l’intégration d’objets manufacturés, parmi lesquels un vieux landau et une télévision, dérivant seuls sur
une plaque de glace et traversant le champ.
Ces natures mortes pourraient être des vanités partiellement ironiques et moqueuses face à l’obsession
matérialiste de notre civilisation, ironie d’une part peut-être liée à un trait d’esprit français, mais surtout liée à ma
position détachée de cet espace, les berges du Saint-Laurent, et des craintes qui y sont liées. Interrogée sur l’humour
ainsi perçu dans de tels plans, Chantal Caron en a été étonnée; pour elle qui vit avec le fleuve ce n’est pas une
métaphore fantaisiste et potentiellement amusante mais l’angoisse d’une réalité, angoisse vécue d’autant plus que
ce sont ses propres objets qu’elle y apporte, créant, peut-être ainsi, une sorte de conjuration, de catharsis.
Mael LE GOLVAN
CINÉMA EXPÉRIMENTAL -ART VIDÉO- MONOBANDES
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