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TRAVERSE VIDÉO ET LE CANADA
Gabriela GOLDER, GIV, Nocturna, 4min
Une nocturne de Gabriela Golder ne saurait suivre
la ligne mélodique d’une musique de nuit, genre répertorié. Si
elle opte pour de fréquentes reprises, sa nocturna s’échappe
d’une continuité, si elle reprend certains motifs, son tempo
rarement lent, s’emballe. La chronologie n’est pas de logique
narrative, mais de cercles et d’échos, d’associations d’images.
Nocturne est à entendre, dès lors comme « rêve », rêve signifi-
catif, pour qui le décrypte, de ce que l’on est et que l’on cache à
coups de rites sociaux. Lorsque le sur-réel gagne la couche du
visible, parfois il avoue le plaisir enfantin du jeu, parfois il révèle
que ce jeu occulte, par l’exhibition de comportements sociaux polis, d’autres motivations.
Et mine de rien, ce film footage dit une réalité argentine honnie. Pour ce faire, il puise à la source de
Sucesos argentinos / Faits argentins, films d’actualité qui, de 1938 à 1972, répondent au projet de filmer la réalité
nationale et de la transmettre à la population. L’ère n’étant pas encore celle de la télévision, les 800 salles de cinéma
disséminées dans tout l’Argentine, diffusèrent rituellement le jeudi, ce premier journal filmique. Malgré la reprise
d’une esthétique du noir et blanc et de la voix over du commentateur pour chaque « fait filmé », la disparité en est
la règle puisque les reporters nombreux et divers filment de manière différente, une quantité hétérogène de faits,
attirés par des thématiques les plus hétéroclites : société, politique, simple fait divers, sport, musique et discours
patriotique. L’histoire de l’Argentine s’y tisse, ce que comprend Gabriela Golder; elle s’en fait la critique par sa
maîtrise du montage par collision, montage qui se fonde sur la disparité pour en produire des similarités. Enumérer
les motifs n’est pas pour elle, un exercice de style, elle ne recherche pas à composer une partition rythmée de faits
accrocheurs mais elle provoque un autre regard sur le réel, par l’assemblage de plans de référents très éloignés;
ainsi l’un contamine l’autre. Comme la rime d’un vers n’est pas seulement d’homophonie mais de glissement de
sens, la teneur d’un plan glisse sur le suivant lui donnant une certaine parenté. Un énorme goret lèche des assiettes
qu’on lui tend; il précède les tables de convives d’un grand repas, en extérieur, de diverses nationalités, en costumes
et lunettes noires pour certains : les membres de la dictature. Superposer à leur masticage à la voracité du porc
s’impose. La population danse, en couples, ou en groupe; elle danse autour de constructions sommaires : tour de
planches ou d’osier et mannequins. Elle applaudit aux feux d’artifices ou autre toro de fuego, en peuple qui se berce
au bonheur superficiel, tant l’incendie est la figure de la destruction. Ce peuple joue quand le pays est opprimé; il
s’amuse à chasser les singes de leurs arbres, qu’ils secouent sans ménagement, il se distrait avec un petit train ou
de petits engins qu’une main d’adulte pousse sur la voie entourée de figurines - ce que sont devenus les hommes.
La musique de Santiago Villa perturbe, en soubassement, cet esprit apparemment heureux, l’aigu agresse, le répé-
titif empêche l’envolée. Le répétitif s’inverse quand, en début de vidéo, un train réel augure en travelling avant, un
avenir possible, mais en fin, le travelling s’inverse, le véhicule s’accélère jusqu’à perdre de son iconicité : le réel n’est
plus que traits, traces. Les véhicules n’avancent pas - métonymie de la stagnation d’un pays sous la dictature: l’avion
retenu, loin de s’envoler, tourne dans le sens du passé de la lecture occidentale…
L’accalmie pourrait se trouver dans la musique : un gros plan aime le doigté d’une jeune violoniste, mais
la mélodie ne s’entend pas, pas plus que le cuivre du musicien suivant, ainsi la terre tremble ou brûle. Le séisme
n’est pas loin. L’accalmie pourrait être du lieu natif quand une jeune femme passe devant un petit hôtel populaire,
mais son calme est aussitôt enrayé par le surgissement de mouvements rapides, d’exténuation de l’image. Nocturna
vire au cauchemar éveillé et réveille la conscience sur la réelle Histoire.
Simone DOMPEYRE
Diane OBOMSAWIN, GIV, La Forêt, 3min 40
Le plaisir de l’enfant qui sommeille en l’adulte est réveillé, excité à tel point qu’il aimerait voir et revoir la
vidéo comme l’enfant demande d’entendre encore et toujours, la même lecture avant de s’endormir.
Désarmante, la ligne claire préfère les contours schématiques et la couleur distinctive; simple, le dis-
cours dénomme les êtres par un signe diacritique; cette petite forme-là qui s’échappe en rouge devant un loup au
pelage plus détaillé est la petite fille en chaperon de Perrault; le renard porteur du fromage est sans crainte d’erreur,
celui qui a dupé le corbeau chez La Fontaine; le lapin qui court, accompagné du tic-tac sonore d’une montre, a quitté
le pays des merveilles d’Alice pour rejoindre celui de Diane Obomsawin.
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